
La situation dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) continue d’être un véritable casse-tête, mêlant tragédies humaines, conflits armés et intrigues politiques. La récente mort du gouverneur militaire du Nord-Kivu, Peter Chirimwami, illustre parfaitement cette complexité et soulève de nouvelles questions sur la gestion du conflit dans cette région.
Cette analyse met en lumière une dynamique récurrente dans la gestion des conflits à l’Est de la République Démocratique du Congo : des déclarations politiques creuses, des appels au soutien logistique, mais une incapacité chronique à s’attaquer aux causes profondes du problème.
Une mort entourée de mystères : le cas du gouverneur Peter Chirimwami
La mort de Peter Chirimwami, gouverneur de la province du Nord-Kivu, soulève des interrogations et met en lumière le désordre et les rivalités internes au sein des forces armées congolaises (FARDC). Alors que le gouvernement affirme qu’il a succombé, sur le champ de bataille, à des blessures par balle, d'autres récits, relayés sur les réseaux sociaux, suggèrent une version bien différente.
Quelques heures avant sa mort, Peter Chirimwami s’était rendu à Sake pour filmer des vidéos de propagande. Dans celles-ci, il prétendait que Sake et Minova étaient toujours sous contrôle des FARDC, niant ainsi les avancées du M23/AFC. Cependant, cette décision téméraire a eu des conséquences fatales. Selon plusieurs sources, ces localités étaient déjà sous contrôle des rebelles, ce qui rendait sa visite à Sake hautement risquée et stratégique, mais aussi controversée.
Après la publication de ces vidéos, la nouvelle de sa mort a rapidement circulé. Officiellement, il aurait été blessé par balle et aurait succombé à ses blessures. Toutefois, des rumeurs plus sombres émergent. Des audios partagés en lingala et swahili sur les réseaux sociaux, attribués à des membres des FARDC, avancent qu'il aurait été abattu par ses propres soldats. Ces derniers l’auraient accusé de trahison, dans un contexte où la méfiance envers les officiers soupçonnés de collusion avec le M23 est monnaie courante.
Cette tragédie met en évidence l’état de désorganisation des FARDC, où :
1. Les rivalités internes prolifèrent : Les accusations de trahison et les règlements de comptes entre officiers et soldats sont fréquents, surtout dans un climat de défaite militaire face au M23.
2. La confiance s'effrite : Les soupçons de collaboration avec les rebelles, qu’ils soient fondés ou non, alimentent un climat de tension et de paranoïa au sein des forces armées.
3. La communication gouvernementale est en crise : Tandis que les FARDC et le gouvernement cherchent à contrôler la narration, les contradictions et les rumeurs sapent leur crédibilité, laissant la place à des versions alternatives des faits.
Au-delà de l’individu, la mort du gouverneur Peter Chirimwami est le symptôme d'une crise plus large au sein de l'appareil militaire et politique congolais. Elle reflète :
1· L'incapacité de gérer efficacement les conflits dans l’Est du pays, où des décisions mal calculées, comme celle de Chirimwami de filmer à Sake, mettent en danger la vie des responsables eux-mêmes.
2· L’effondrement de l’autorité et de la discipline au sein des FARDC, où les soldats semblent de plus en plus agir selon leurs propres intérêts ou motivations.
3· La déconnexion entre les récits officiels et la réalité sur le terrain, qui alimente la méfiance des citoyens envers leurs dirigeants.
La mort de Peter Chirimwami, dans des circonstances aussi troubles, pourrait aggraver davantage la crise de confiance entre le gouvernement, les FARDC et la population. De plus, elle pose des questions sur la stratégie et la gestion du conflit au Nord-Kivu. Les FARDC, déjà affaiblies et divisées, risquent de perdre davantage de terrain face à un M23/AFC mieux organisé et discipliné.
Si ces rumeurs de trahison et d’exécution interne s’avèrent vraies, elles démontrent à quel point le régime de Kinshasa peine à contrôler ses propres forces. Cela souligne l’urgence d’une réforme profonde des FARDC, sans quoi la situation à l’Est de la RDC continuera de se détériorer, au détriment des populations locales.
Une logique d'entêtement stérile
Pendant ce temps, à Kinshasa, les députés du Nord et du Sud-Kivu se réunissaient pour dénoncer la percée du M23 et le soutien présumé du Rwanda. Si ces déclarations appellent à une mobilisation accrue des moyens logistiques et humains, elles restent désespérément superficielles.
Bien que cette reunion soit symbolique, elle illustre l’incohérence de la classe politique congolaise face à la crise qui perdure. Certes, condamner la percée du M23 et dénoncer le soutien présumé du Rwanda peut avoir une résonance médiatique, mais cela ne suffit pas à répondre aux véritables enjeux. Les discours restent vides de propositions concrètes pour traiter la question centrale : l’exclusion et le déracinement d’une partie de la population pour des raisons identitaires.
La classe politique congolaise semble engluée dans une posture d’entêtement, comparable à celle du pharaon dans le récit biblique de Moïse. Refusant obstinément toute forme de négociation ou de compromis, elle persiste dans des politiques inefficaces qui prolongent la souffrance des populations. Pourtant, les conséquences de cette attitude sont visibles : une crise humanitaire sans précédent, des milliers de déplacés, et une instabilité régionale qui s’aggrave.
Ce refus de négociation est non seulement contre-productif, mais il montre également une volonté délibérée d’éviter les discussions sur les véritables racines du problème. Le conflit dans l’Est de la RDC n’est pas seulement militaire, il est aussi profondément sociopolitique, avec des implications identitaires et historiques que les autorités congolaises choisissent d’ignorer.
Le silence sur le fond du problème laisse penser que la classe politique congolaise préfère détourner l’attention plutôt que d’affronter les réalités inconfortables. Comme un obsedé entêté, elle refuse obstinément toute négociation, ignorant que cette posture rigide ne fait qu’aggraver les conséquences.
Une vérité difficile à admettre, mais de plus en plus évidente, est que la population du Nord et du Sud-Kivu aspire à une libération véritable, même si cette aspiration reste étouffée par la peur des représailles et les manipulations du régime de Kinshasa. Malgré le discours officiel et la propagande, de nombreux habitants des zones sous contrôle du M23 témoignent d'une réalité contrastant avec celle des zones encore sous le joug de la coalition FARDC-FDLR et autres milices.
Dans les territoires sous contrôle du M23, les populations rapportent une amélioration notable de leur quotidien :
1· Sécurité accrue : Les attaques des milices armées et les exactions des forces "loyales" sont considérablement réduites, permettant à la population de vivre sans la peur constante des violences arbitraires.
2· Liberté de mouvement : Contrairement aux zones sous contrôle des FARDC, où des postes de contrôle servent de prétexte à des extorsions et à des abus, les habitants des zones contrôlées par le M23 circulent librement, sans tracasseries ni taxes illégales.
3· Ordre et discipline : Le M23 semble appliquer des règles plus strictes et plus cohérentes, en contraste avec le chaos laissé par les FARDC et les milices alliées, où règnent corruption et insécurité.
Cette situation est en total décalage avec la narration véhiculée par Kinshasa, qui présente le M23 comme un groupe rebelle, terroriste, uniquement destructeur, tout en cachant les propres abus systématiques des FARDC et des milices alliées. Les populations locales, prises au piège entre ces différents acteurs, se retrouvent réduites au silence, incapables d’exprimer publiquement leur opinion par crainte d’être accusées de collaboration ou de trahison.
Déjà sur les réseaux sociaux nous voyons ces genres de message circuler :
"Nous demandons à nos jeunes de la communauté SHI au Sudkivu, de ne pas se faire chair à canon en participant dans les combats contre le m23 au profit d'un régime qui ne fait rien dans leurs entités de Walungu, et Kabare. Là où les Fardc, les forces armées Burundaises, et les mercenaires blancs échouent ce ne sont pas nos jeunes qui vont y réussir. Toute la jeunesse Shi devrait éviter d'être utilisée dans une guerre que seul Félix tshisekedi est auteur suite aux accords qu'il avait signé avec le m23 lors de son accession au pouvoir". Conclusion du compte rendu des notables de la communauté Shi réunis à BUKAVU.
@Bibishe6 @VitalKamerhe1 @USAenFrancais @USAmbDRC @UEenRDC @KimKimuntu @StanysBujakera @wembi_steve @Katsuva_R @_AfricanUnion @mugishogc @SMushagalu71146 @Nzigirechi46189 »
Le régime de Kinshasa, au lieu d’écouter les préoccupations réelles des habitants du Nord et du Sud-Kivu, préfère renforcer sa propagande contre le M23 et détourner l'attention des causes profondes du conflit. Cette propagande repose sur plusieurs piliers :
1. La diabolisation du M23 comme agent du Rwanda : En attribuant au M23 l'étiquette de "marionnette rwandaise", Kinshasa espère mobiliser l’opinion publique nationale et internationale, tout en évitant de répondre aux revendications de justice, de sécurité et d’inclusion portées par les populations marginalisées.
2. La minimisation des abus des FARDC et de leurs alliés : Les exactions des FARDC, les collaborations avec des groupes génocidaires comme les FDLR, et les abus systématiques sont volontairement ignorés ou sous-estimés.
3. L’omerta médiatique : Les témoignages positifs venant des zones sous contrôle du M23 sont étouffés, et toute tentative de les faire entendre est rapidement qualifiée de "propagande pro-M23".
Une guerre asymétrique : FARDC vs M23/AFC
Sur le terrain, les combats font rage. Le M23/AFC, bien que numériquement inférieur, inflige des défaites répétées à une coalition disparate composée des FARDC, des FDLR, des forces burundaises, des troupes de la SADEC et d’autres milices locales sous le label de Wazalendo. Malgré une supériorité logistique et en effectif, les FARDC semblent incapables de freiner la progression du M23, qui profite du désordre au sein des forces armées congolaises pour récupérer leur arsenal.
Le contraste est saisissant : une armée nationale pléthorique, mais mal organisée, face à un mouvement rebelle qui optimise chaque ressource. Cela soulève des questions sur l’efficacité de l’appareil militaire congolais et la corruption qui gangrène ses structures et celles de l'apareil politique du pays.
L’appel des députés à renforcer la logistique et les moyens des FARDC est également symptomatique d’une mauvaise lecture du terrain. Les FARDC disposent d’un effectif et d’une logistique largement supérieurs à ceux du M23. Pourtant, les résultats sont inversés : les rebelles continuent de gagner du terrain. Cela soulève une question essentielle : le problème est-il logistique ou stratégique ?
En réalité, le M23 tire parti de la désorganisation des FARDC et de la corruption au sein de l’appareil militaire congolais. L’équipement laissé sur le terrain par les FARDC devient une source d’approvisionnement pour le M23. Cette situation révèle des failles structurelles qui ne peuvent être résolues par une simple augmentation des moyens.
Il est crucial de rappeler que la paix et la sécurité ne peuvent être atteintes par des moyens purement militaires. Tant que les questions d’exclusion, de discrimination et de déracinement resteront sans réponse, le conflit continuera de se nourrir de ces injustices. Les populations marginalisées, souvent ciblées pour leur identité, continueront de ressentir un profond sentiment d’injustice, alimentant ainsi les tensions.
La classe politique congolaise doit reconnaître que la solution à la crise de l’Est passe par une approche globale :
1. Reconnaître les droits des minorités et mettre fin aux politiques d’exclusion.
2· Promouvoir le dialogue entre les différentes communautés pour restaurer la confiance.
3· Lutter contre la corruption au sein de l’armée et de l’administration publique.
4· Engager des négociations sérieuses avec les groupes armés pour parvenir à un cessez-le-feu durable.
Le statu quo actuel est insoutenable. La politique de rejet systématique des négociations, combinée à des stratégies militaires inefficaces, ne fait qu’aggraver la situation. Il est temps pour la classe politique congolaise de sortir de son aveuglement et d’adopter une approche plus courageuse, orientée vers la résolution des causes profondes du conflit.
Sans cela, la RDC restera prisonnière de ce cycle infernal de violence, où des milliers de vies innocentes continueront d’être sacrifiées sur l’autel d’une inaction politique et d’un entêtement idéologique.
La sortie absurde de Kamanzi Kibibi: L'Attaque contre Twirwaneho
Dans ce contexte de guerre et de souffrance collective, l’ancien ministre Kamanzi Kibibi, membre de la communauté banyamulenge, a toujours choisi de concentrer ses critiques sur l’autodéfense banyamulenge. Cette déclaration est non seulement hors sujet, mais aussi profondément absurde.
Depuis 2017, les Banyamulenge vivent un enfer dans les Hauts-Plateaux : population massacrée, villages incendiés, bétail pillé, populations déplacées, et une destruction systématique orchestrée souvent sous le regard complice des FARDC. Pourtant, Kamanzi Kibibi n’a jamais levé la voix pour dénoncer ces exactions. Pourquoi ce silence ? Était-il dicté par la peur, la complaisance, ou par un calcul politique visant à préserver ses intérêts personnels ?
Son absence de dénonciation contraste cruellement avec les souffrances endurées par sa communauté. Au lieu de s’attaquer aux véritables auteurs des violences – des coalitions de groupes armés soutenues par des éléments des FARDC –, il choisit de diriger ses critiques vers Twirwaneho, une structure créée par nécessité pour défendre les Banyamulenge contre l’extermination.
Les déclarations de Kamanzi interviennent toujours dans un contexte où la communauté Banyamulenge est déjà à bout de souffle, et où Twirwaneho représente l’un des rares remparts face à l’anéantissement total. Critiquer ce groupe d’autodéfense sans offrir d’alternative concrète revient à fragiliser encore davantage une population assiégée.
Pire encore, son intervention semble complètement hors sujet. Au lieu de reconnaître le rôle de Twirwaneho dans la survie des Banyamulenge, il s’attaque à eux comme s’il ignorait les véritables enjeux du conflit. Une telle posture ne peut qu’alimenter les soupçons sur ses motivations réelles.
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette prise de position. S’agit-il d’un calcul politique ou perte de repères ?
1· Un calcul politique : Kamanzi pourrait espérer regagner les faveurs du régime en place ou des FARDC en sacrifiant symboliquement sa propre communauté. Ce genre de démarche n’est pas inédit dans les cercles politiques congolais, où certains acteurs choisissent le camp du pouvoir au détriment de leur peuple.
2. Une déconnexion totale des réalités : Il est possible que Kamanzi, éloigné des souffrances quotidiennes des Banyamulenge, ait perdu de vue les priorités de sa communauté.
3· Une pression externe : Ses déclarations pourraient être le fruit d’une influence visant à diviser encore davantage la communauté Banyamulenge, une tactique couramment utilisée par Akagara dont il fait partie, pour affaiblir l’autodéfense.
Quelles que soient ses motivations, le comportement de Kamanzi est non seulement absurde, mais aussi dangereux. En critiquant Twirwaneho, il renforce les discours qui diabolisent les Banyamulenge et justifient les attaques contre eux. En agissant ainsi, il trahit les attentes de sa communauté, qui aurait espéré trouver en lui un défenseur plutôt qu’un accusateur.
Kamanzi Kibibi devrait prendre le temps de réfléchir à l’impact de ses paroles. La communauté Banyamulenge a besoin de solidarité et de soutien, pas de divisions internes alimentées par des déclarations malavisées. La survie des Banyamulenge dépend de leur unité face à des forces bien plus puissantes et organisées.
Si Kamanzi souhaite réellement contribuer à la paix et à la sécurité, il devrait commencer par dénoncer les véritables responsables de la crise : les coalitions armées, les FARDC complices, et l’inaction du gouvernement congolais face aux discriminations et à l’exclusion. Toute autre démarche, comme celle qu’il vient d’adopter, ne fait que jeter de l’huile sur le feu et affaiblir une communauté déjà en danger.
En ces temps critiques, il est crucial de privilégier l’unité et de reconnaître le rôle indispensable des structures comme Twirwaneho, qui se battent pour la survie d’un peuple abandonné par les institutions censées le protéger.
Conclusion
La solution ne viendra pas d’un entêtement aveugle ni d’une simple mobilisation logistique. Elle nécessite une remise en question profonde de la gouvernance, une reconnaissance des causes identitaires du conflit et un véritable engagement pour la paix et la réconciliation. Pour l’instant, la RDC semble loin de cette réalité. Tant que les autorités continueront à fuir leurs responsabilités et à ignorer les racines du problème, la crise à l’Est restera un casse-tête insoluble.
Le 25 janvier 2025
Paul Kabudogo Rugaba
Comments