La Guerre de l’Information dans l’Est de la RDC : Quand la Vérité Devient Otage de la Propagande
- Paul KABUDOGO RUGABA
- 6 avr.
- 3 min de lecture
La guerre dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) ne se livre pas uniquement sur les champs de bataille. Elle se déroule aussi sur un autre front tout aussi stratégique : celui de l'information. Les chiffres avancés par le gouvernement congolais, soutenus par certains partenaires occidentaux tels que la France et la Belgique, accusant systématiquement l’AFC/M23 de crimes de masse, méritent un examen rigoureux et objectif. Ces statistiques, souvent diffusées sans vérification indépendante, sont pour la plupart erronées, grossièrement exagérées et dénuées de fondement méthodologique.
Le chiffre de 12 millions de morts, repris parfois sans nuance par des acteurs politiques et médiatiques, ne repose sur aucune base statistique sérieuse. Il s’inscrit plutôt dans une narration politique visant à désigner des boucs émissaires — le plus souvent, les Tutsi, le Rwanda, et plus récemment, l’AFC/M23 — tout en occultant les responsabilités internes.
Il convient de rappeler que la RDC ne dispose pas de système national fiable de collecte de données démographiques ou sanitaires depuis plus de trois décennies. Les décès liés à des accidents routiers, ferroviaires, fluviaux, ou à des épidémies meurtrières comme le choléra, la malaria ou Ebola, sont fréquents et largement sous-déclarés. Dans ce contexte, attribuer tous les morts de l'Est du pays à un seul groupe armé relève davantage de la stratégie politique que de la rigueur factuelle.
Une Armée Déroutée et des Groupes Armés Déchaînés
Le lourd tribut payé par les populations civiles est en réalité dû, dans bien des cas, aux agissements de l’armée congolaise (FARDC), des milices dites Wazalendo, CODECO et des groupes terroristes étrangers tels que les FDLR. Ce sont ces forces incontrôlées, armées parfois par l'État lui-même, qui commettent quotidiennement des exactions, pillages, et viols systématiques, notamment dans les zones à majorité Tutsi ou Hema.
À titre illustratif, en juillet 2020, le groupe Twirwaneho, en réponse à un vol de plus de 400 vaches par les MAI-MAI à Kalingi, a mené une opération de récupération dans le village de Kipupu. Aucun civil n’a été tué lors de cette action. Pourtant, les chiffres de morts ont été grossièrement fabriqués et amplifiés par les médias et certaines ONG. La MONUSCO, mobilisant même ses avions, a mené une enquête précipitée, dont les conclusions sont restées ambiguës. Il est frappant de constater qu’aucune réaction similaire n’est intervenue lors du pillage initial par les MAI-MAI.
L’Affaire Kishishe : Un Cas d’École de Désinformation
Le 30 novembre 2022, les médias congolais ont affirmé que l’AFC/M23 aurait massacré près de 300 civils à Kishishe, dans le Nord-Kivu. En l’absence de toute enquête indépendante crédible, les chiffres ont varié entre 8 et 300 morts selon les sources. Une exploitation médiatique intense s’en est suivie, appuyée par des réactions diplomatiques françaises et belges. Jusqu’à ce jour, aucune preuve matérielle solide ne vient confirmer de manière irréfutable cette version officielle. En revanche, plusieurs rapports font état de provocations militaires, d’embuscades tendues par les FDLR et Wazalendo, ainsi que de règlements de compte internes dans la zone.
À l’inverse, les exactions subies par les Banyamulenge, les Tutsi du Nord-Kivu, ou encore les Hema de l’Ituri, sont régulièrement passées sous silence. En avril 2020, quatre femmes Banyamulenge furent enlevées, violées et mutilées par les MAI-MAI en complicité 30 avec les FARDC à Minembwe. Leurs corps ont été présentés au bureau local de la MONUSCO. Le 30 juin 2021, toujours à Minembwe , un massacre des nombreuses mamans Banyamulenge qui faisait le sit-in, réclamant qu’un bebe de deux mois soit libéré du container qui servait de prison. Aucun rapport officiel n’a documenté cet acte d’une violence extrême. Aucune réaction de Paris, Bruxelles ou Kinshasa.
Ce double standard est révélateur. Les faits atroces commis contre certaines minorités ne semblent pas mériter la même attention ni la même indignation.
Une Guerre Médiatique à Sens Unique
Les images effroyables circulant depuis Kinshasa, Kisangani ou Uvira montrent des populations désespérées qui, paradoxalement, appellent à l’intervention de l’AFC/M23 pour les protéger des abus des forces gouvernementales et milices locales. Ce constat est ignoré par les grandes chaînes internationales et les diplomaties occidentales, qui préfèrent répéter des narratifs confortables, même s’ils s’avèrent inexacts.
Dans une guerre où la vérité est la première victime, l’absence de pluralité des sources, la politisation des chiffres et le silence complice de certaines organisations internationales produisent une version de l’histoire partielle et profondément biaisée.
Il est temps de reconnaître que la réalité du conflit à l’Est de la RDC ne se résume pas à un récit manichéen où l’AFC/M23 serait responsable de tous les maux. Les vrais bourreaux sont souvent ceux qui détiennent les armes de l'État ou agissent sous sa bénédiction tacite. La guerre médiatique qui accompagne les combats sur le terrain est un outil de désinformation massive, conçu pour détourner l’attention des responsabilités internes et éviter toute remise en question du système congolais. Pour les victimes réelles, invisibles et oubliées, ce silence est une seconde mort.
Le 06 avril 2025
Paul Kabudogo Rugaba
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