Paix sur papier, bombes sur Minembwe : l’absurde tragédie banyamulenge
- Paul KABUDOGO RUGABA
- 3 juil.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 juil.

L’alliance Fleuve Congo, le M23 et Twirwaneho sont aujourd’hui engagés dans une guerre ouverte contre le gouvernement congolais. Pendant ce temps, sous l’égide des États-Unis, des accords sont négociés entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Pourtant, ces négociations semblent n’engager que les deux pays protagonistes, et non les véritables belligérants. Deux États, impliqués indirectement dans ce conflit qu’ils alimentent mutuellement en s’accusant chacun de soutenir les rébellions de l’autre, ont ainsi signé ce fameux protocole d’entente le 27 juin 2025 à Washington. La signature s’est faite entre Olivier Nduhungirehe pour le Rwanda et Thérèse Kayikwamba Wagner pour la RDC, en présence de Marco Rubio, secrétaire d’État américain. À cette occasion, le président américain Donald Trump a déclaré que les États-Unis devraient obtenir des droits miniers en RDC en contrepartie de leur rôle dans ces négociations.
À peine les signatures apposées, chacun des signataires s’est empressé de proclamer sa victoire diplomatique, dans un discours triomphaliste qui frise l’absurde aux yeux des simples citoyens, exclus de la sphère politique. Car au fond, nul ne touche à la véritable cause du conflit, à ses racines historiques, identitaires et politiques. Les questions demeurent entières, murmurées avec scepticisme par la population et les observateurs : de quoi s’agit-il réellement, si ce n’est pas de la paix ? Pourquoi ces accords, qui paraissent si décisifs dans les communiqués officiels, n’apportent-ils aucune amélioration sur le terrain?
À ces interrogations, les réponses se perdent dans un vocabulaire diplomatique alambiqué, évoquant des « accords de principe » plutôt que de véritables traités de paix. Dans cette confusion, seuls les États-Unis semblent véritablement tirer leur épingle du jeu, consolidant leur influence stratégique sans avoir versé la moindre goutte de sang ni payé le prix de la guerre. Pendant ce temps, la population, résignée, acquiesce sans rien comprendre, tandis que le conflit poursuit son cours tragique.
Ces accords interviennent après une tournée de trois membres de la communauté Banyamulenge à travers l’Amérique et l’Europe. Reçus dans plusieurs ministères, ils ont accompagné la campagne diplomatique de la ministre des Affaires étrangères, madame Thérèse Kayikwamba, dont la thèse défendue est la suivante : « Il s’agit d’une agression du Rwanda et non d’un conflit congolo-congolais. »
La majorité de la communauté Banyamulenge a vécue cette tournée comme une provocation, y voyant une campagne de négationnisme face à leur drame quotidien, certains n’hésitant pas à la qualifier, sans détour, de trahison pure et simple. Et pour cause:
Il va de soi que c’est bien le gouvernement congolais qui a planifié et orchestre l’extermination des Banyamulenge et, plus largement, des Tutsi, même si pour ce faire il utilise les milices Wazalendo et les FDLR. Tout cela se fait pour son propre compte, dans une stratégie assumée d’anéantissement.
Au moment même où cette tournée diplomatique avait lieu, et dans les jours qui ont suivi, trois militaires FARDC issus de la communauté Banyamulenge et des Tutsi du Nord-Kivu ont été exécutés et atrocement découpés par leurs propres camarades d’armes à Bwegera. Leurs corps portaient les marques insoutenables des tortures subies.
Quelques jours plus tôt, des policiers Banyamulenge venus des Hauts-Plateaux pour percevoir leurs salaires ont été violemment tabassés, grièvement blessés, dépouillés de leur solde puis jetés en prison, sans aucune raison. Ils étaient quinze au total.
Et toujours cette même semaine, des militaires burundais ont abandonné aux mains des milices Wazalendo des civils Banyamulenge – hommes, femmes et enfants confondus – qui s’étaient pourtant confiés à eux, espérant protection sur le chemin de retour vers leurs villages.
Le Burundi, lui, poursuit ses manœuvres militaires dans l’ombre, recrutant des mercenaires européens et déployant ses troupes sur les Moyens et Hauts-Plateaux d’Itombwe, pour encercler et asphyxier les derniers villages Banyamulenge, déjà pris au piège.
Ainsi va ce monde, où l’on signe des « accords de principe » sur des cadavres encore tièdes, pendant que la communauté internationale, dans son confort moral, se félicite d’avoir « ramené la paix ».
Pendant que se négocient à Doha, au Qatar, des accords théoriques entre des belligérants eux-mêmes absents de la table de Washington, la réalité, elle, demeure implacable sur le terrain. Le gouvernement congolais poursuit sans relâche ses opérations militaires contre les Banyamulenge. Sous la coordination du général Pacifique Masunzu, commandant de la troisième zone militaire, des drones en provenance de Bujumbura larguent régulièrement leurs bombes sur Minembwe et ses environs, semant la terreur et la désolation. La petite piste d’aérodrome, unique lien humanitaire permettant l’acheminement des secours et des médicaments, est bombardée à plusieurs reprises, réduisant à néant tout espoir d’assistance pour la population assiégée.
Ainsi, le 30 juin dernier, alors que l’ensemble du pays célébrait dans la liesse le 65ᵉ anniversaire de son indépendance, Minembwe était à nouveau plongée sous une pluie de bombes. Ces frappes ont détruit un avion humanitaire et blessé plusieurs civils, ajoutant au désespoir ambiant. La population vit désormais au rythme de l’effroi et de la fuite, se terrant dans des trous creusés à la hâte ou s’enfonçant dans la brousse, traquée sans relâche par une coalition composée des Forces armées de la République démocratique du Congo, des forces armées burundaises, des éléments du Front démocratique de libération du Rwanda et des milices Wazalendo.
Et l’on s’interroge : que représente donc Minembwe aux yeux de la République démocratique du Congo pour qu’on accepte de laisser tomber Goma sans résistance, puis Bukavu, et qu’on se prépare à céder Uvira, mais qu’on s’acharne à détruire, coûte que coûte, ce petit territoire habité par les Banyamulenge ? Pourquoi le monde continue-t-il de tergiverser à reconnaître ce qui se joue sous ses yeux, sinon un génocide silencieux ?
Face à cette réalité insoutenable, la question reste posée, insistante et douloureuse : pourquoi tant d’acharnement contre Minembwe ? Pourquoi ce silence assourdissant de la communauté internationale, qui regarde s’accomplir ce drame sans le nommer ? Peut-être est-ce la complexité géopolitique de la région qui voile la vérité aux yeux du monde, ou peut-être est-ce un choix cynique de la realpolitik, préférant ignorer l’inacceptable plutôt que d’en assumer les conséquences.
Car ce qui se joue ici dépasse la simple logique militaire ou territoriale. Il s’agit d’un peuple qu’on veut effacer, d’une mémoire qu’on veut abolir, d’une existence qu’on veut nier. Minembwe est devenue le symbole de ce projet d’extermination méthodique, mené au nom d’intérêts stratégiques qui se drapent de discours souverainistes et nationalistes. Et pendant que les puissances étrangères se disputent l’influence dans la région, pendant que les dirigeants congolais consolident leur pouvoir sur le sang des innocents, les Banyamulenge, eux, poursuivent leur longue marche dans la nuit de l’oubli et de la persécution.
Pourtant, l’histoire l’a démontré : un peuple que l’on refuse de voir continue d’exister dans la dignité du silence, jusqu’au jour où la vérité finit par éclater, fracassante, irréfutable. Et ce jour-là, il sera trop tard pour prétendre que l’on ne savait pas.
Le 3 juillet 2025
Paul Kabudogo Rugaba
Comments