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Paul KABUDOGO RUGABA

Au-delà de l’histoire écrite, il y a une vraie orale inédite. Parties VIII

Dernière mise à jour : 1 déc.


Dugu wa Mulenge : Une Ascension Politique au Cœur des Luttes Identitaires et Électorales des Banyamulenge

En 1983, Dugu a été nommé député par le président Mobutu Sese Seko, une nomination rendue possible grâce à l’intervention de Rwakabuba Shinga, un influent membre du bureau politique du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR). Rwakabuba, alors le seul Tutsi autochtone à occuper une position importante dans les hautes sphères du pouvoir après le décès du député Gisararo, a joué un rôle clé dans la promotion de Dugu.

Cependant, l'accès au pouvoir pour les Tutsis autochtones n'était pas sans obstacles. En 1982, Mutambo Joseph, et deux autres Tutsis originaires du Nord-Kivu, ont tenté de se présenter comme candidats à la députation nationale. Leur initiative a été rapidement bloquée, leurs dossiers ayant été rejetés en bloc sous le prétexte fallacieux que leur nationalité était douteuse.

Lorsque les candidats sont parvenus à fournir des documents prouvant leur nationalité congolaise, la commission de validation des candidatures a changé d’argument. Elle a prétendu alors que les candidats manquaient de militantisme en faveur des idéaux du MPR, le parti unique au pouvoir. Cette nouvelle justification, subjective et basée sur une appréciation personnelle, a rendu toute contestation presque impossible, fermant ainsi la porte à leur candidature.

Cette manœuvre a illustré les nombreux obstacles bureaucratiques et politiques auxquels les Tutsis autochtones étaient confrontés, même lorsqu’ils avaient rempli les critères officiels, et a mis en lumière les pratiques discriminatoires systémiques qui dominaient à cette époque et continuent jusqu’à présent.

La tension et l’inquiétude au sein de la communauté Tutsi avaient atteint un niveau critique. Qu’ils soient autochtones ou réfugiés, tous se sont sentis systématiquement marginalisés dans la gestion des affaires publiques à cause de leur appartenance ethnique. Cette marginalisation s’est accentuée sous la pression constante des députés originaires du Grand Kivu. Même M. Bisengimana Barthélemy, autrefois un directeur de cabinet influent auprès du président Mobutu, a perdu peu à peu sa capacité à intervenir efficacement pour défendre ses intérêts et ceux des Tutsi en général.


Dans ce climat tendu, de nouveaux postes au sein de l’Assemblée provinciale ont été créés pour représenter les différentes sous-régions du Grand Kivu. Sous le régime de Mobutu, la répartition du pouvoir visait à maintenir un équilibre entre les différentes ethnies et sous-régions, dans une tentative, bien qu’imparfaite, de promouvoir la cohésion régionale. Trois représentants furent initialement désignés : Bisukiro Marcel comme président, un Hutu du Nord-Kivu ; Ngongo Lutete, Vice-président, un ressortissant du Maniema ; et un Nande de Beni, du nom Kamabale au poste de Secretaire rapporteur. Toutefois, la place réservée aux Tutsi autochtones resta vacante.

Peu après leur nomination, les trois représentants furent accusés de détournement de fonds liés à la gestion de la brasserie BRALIMA, entraînant leur révocation. Chacun d’eux fut remplacé par un représentant issu de sa sous-région ethnie  respectives : Bisukiro par Sekimonyo wa Magangu, Kayumba Bin Amani et Kyaka Live Live. le poste reservé aux Tusi du Sud-Kivu etait à nouveau vide. Nsengiyumva, personnage influent auprès du gouverneur Mwando Simba, avait profité de l’occasion pour proposer Mudakikwa, un Rwandais de Bukavu, au poste vacant. Ce qui a été fait. Trois mois après sa nomination, Mudakikwa est décède, laissant encore vide la place réservé aux Tutsi.

Suite à ce décès, Nsengiyumva a proposé d’autres Rwandais installés à Bukavu pour succéder à Mudakikwa, renforçant ainsi leur présence dans des postes-clés. Cette stratégie, perçue comme une tentative de monopoliser des positions réservées aux Tutsi autochtones, a contribué à exacerber les tensions ethniques et politiques latentes dans la région, tout en réduisant davantage la représentation des Tutsi autochtones dans les affaires publiques.  

Dans l’entre temps, le rejet de la candidature à la députation nationale de Joseph Mutambo (Munyamulenge) a suscité des grognes. 

Face à ces manœuvres discriminatoires, six étudiants Banyamulenge — parmi lesquels Masud Ngendahayo, Rumenge Allain, Semahurugu, Mitabu, et Muhima — ont décidé de prendre l’initiative de rencontrer Rwakabuba pour exprimer leur mécontentement. Conscient de l’importance de leur démarche, Rwakabuba les a écoutés avec attention. Touché par leurs préoccupations, il s’est engagé à agir et est allé personnellement rencontrer Mobutu pour lui exposer le problème de marginalisation de sa communauté.

Lors de leur échange, Mobutu, sensible aux arguments de Rwakabuba, lui a demandé de proposer le nom d’un Munyamulenge à nommer à une position officielle. Rwakabuba, soucieux de trouver une solution rapide, a consulté Mutambo, une figure influente au sein de la communauté, qui a suggéré le nom de Dugu.

Lorsque la liste a été soumise au Comité Central, elle ne comportait qu’un seul nom : "Dugu." Pendant la réunion, une question a été posée concernant son prénom. Pris de court et n’ayant pas le temps de mener des recherches approfondies, Rwakabuba a improvisé. Il s’est référé à l’origine de Dugu, en le désignant comme "wa Mulenge," ce qui signifie littéralement "ressortissant de Mulenge."

C’est ainsi que Dugu, dont le nom complet est Dugu Muhinyza Esron, a été officiellement nommé sous l’appellation "wa Mulenge." Ce surnom, bien que né d’une circonstance fortuite, a été adopté avec aisance par Dugu lui-même. Aujourd’hui encore, cette appellation est indissociable de son identité, symbolisant à la fois son origine et le combat de sa communauté pour la reconnaissance et l’égalité.

Lors des élections de 1987, les Banyamulenge ont été confrontés à une marginalisation flagrante. Toutes les voies d'accès leur ayant été bloquées, ils ne ont pas pu présenter de candidat à la députation. Pire encore, on leur a interdit également de voter. Sur les Hauts-Plateaux, dans leur propre terroir, les Babembe et les Bafulero ont organisé le scrutin en secret, durant la nuit.

Le lendemain matin, lorsque les Banyamulenge se sont préparés à exercer leur droit de vote, on leur a annoncé que le scrutin était clos et que les urnes avaient déjà été acheminées vers Uvira. Cette injustice a suscité une vive indignation parmi la jeunesse Banyamulenge, qui a décidé de réagir.

Déterminés, les jeunes Banyamulenge ont poursuivi les transporteurs des urnes. Comme il n'existe pas de route praticable dans la région, le transport se faisait à pied, les urnes étant portées sur la tête ou le dos. Cela a facilité leur interception. Dans un geste de protestation, les urnes ont été détruites.

Un rapport fallacieux sur cet incident, selon lequel les réfugiés tutsi rwandais ont saboté les élections, a été rapidement transmis à Kinshasa, entraînant l’arrestation de plusieurs personnes. Cependant, lorsque le président Mobutu a été informé de la situation, il a donné raison à la jeunesse Banyamulenge, reconnaissant la légitimité de leur revendication pour leur droit de vote en ces termes : « S’ils ont cassé les urnes des élections, c’est-à-dire qu’ils sont citoyens. »

Suite à cette intervention présidentielle, Dugu, qui figurait sur la liste des sortants, a été reconduit dans son poste de député en 1987. Il y est resté jusqu’en 1994, témoignant de l’importance de cette mobilisation pour préserver une certaine représentation politique des Banyamulenge malgré les discriminations qu’ils subissaient.


Opportunités manquées et silence historique

Lorsque les Banyamulenge ont cassé les urnes pour protester contre la violation de leurs droits, le président Mobutu, prenant acte du bien-fondé de leurs revendications, aurait demandé à Bisengimana Barthélemy de suggérer le nom d’un Munyamulenge compétent pour occuper le poste de Président Délégué Général (PDG) de Gécamines Développement. Certes, le profil académique de Dugu ne correspondait pas aux exigences de ce poste, mais celui de son frère Kibamba et bien d’autre Banyamulenge Universitaires répondait parfaitement aux critères requis.

Cependant, Bisengimana Barthélemy en a une fois de plus profité de l’ocasion pour nommer un Rwandais du nom de Kanobana à ce poste, en utilisant le quota qui était pourtant réservé aux Banyamulenge. Finalement, Dugu a été reconduit en tant que député régional au Sud-Kivu, tandis que son frère Kibamba a été proposé comme chef du personnel au sein de la gigantesque compagnie Gécamines.

Cependant, une interrogation persiste : lors de la Conférence nationale souveraine, pourquoi Mr Dugu, pourtant reconnu comme un militant actif du Mouvement populaire de la Révolution (MPR) et député en exercice, a-t-il été exclu de cette importante assemblée ?

Une seconde question porte sur l’offre de Tambwe Mwamba. Selon certaines sources, Tambwe Mwamba, animé par un sentiment de compassion, aurait proposé à Dugu de rejoindre leur parti , l’Union des Démocrates Chrétiens (UDC) et de recruter beaucoup des Banyamulenge. Cette intégration aurait permis à Dugu et ses frères Banyamulenge de participer à la Conférence nationale en tant que membre de cette formation politique.

Pour les Banyamulenge, cette proposition représentait une rare opportunité dans un contexte où toutes leurs démarches semblaient systématiquement bloquées. C’était une ouverture potentielle pour une communauté marginalisée, confrontée à des portes qui se fermaient de toutes parts.

Cependant, il demeure difficile de déterminer comment cette initiative a finalement abouti. L’histoire orale, qui constitue une source essentielle dans ce genre de contexte, reste silencieuse à ce sujet. Ce silence met en évidence un besoin urgent de recherches approfondies pour éclairer les multiples obstacles qui ont jalonné le parcours des Banyamulenge et pour mieux comprendre les dynamiques de leur exclusion.


Rwakabuba Shinga : Un Héros Oublié à Réhabiliter dans l’Histoire de la RDC


À l’instar de Dugu, Rwakabuba Shinga demeure une figure méconnue de l’histoire, malgré un rôle qui mérite les éloges réservés aux véritables héros. Ce manque de reconnaissance constitue une faille historique qu’il convient de réparer.

Rwakabuba Shinga s’est distingué par son rôle protecteur, assumant la défense des intérêts de sa communauté et celle des Banyamulenge, dans un contexte de marginalisation et de tensions identitaires. Il a été un pilier dans les hautes sphères du pouvoir, utilisant son influence non seulement pour plaider en faveur de son peuple, mais aussi pour garantir la stabilité et l’intégrité du territoire face aux manœuvres politiques et aux discriminations.

Son intervention auprès du président Mobutu pour la nomination de Dugu en est un exemple éloquent. Cette action, bien que peu documentée, illustre son engagement à préserver une représentation équitable et à assurer que les droits de sa communauté ne soient pas ignorés.

Rwakabuba ne s’est pas contenté de défendre les Banyamulenge et les Tutsi de Jomba. Il a également œuvré pour maintenir l’unité et l’intégrité du territoire national dans une époque où les balkanisations menaçaient de morceler le pays. Son dévouement et son courage méritent aujourd’hui d’être célébrés et intégrés dans la mémoire collective.

Restaurer l’héritage de Rwakabuba Shinga, c’est non seulement honorer un homme d’exception, mais aussi reconnaître l’importance des luttes pour la justice et l’égalité dans l’histoire de la République démocratique du Congo.

 

Le 15 novembre 2024

Paul Kabudogo Rugaba

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