Dans une interview sur RFI ce 10 janvier 2023 sur le risque de génocide en RDC, Pierre Boisselet, coordinateur de recherches sur la violence au Congo pour l'Institut Ebuteli a fait son appréciation de situation.
En effet, s'il admet que la guerre dans le Nord-Kivu (avec le M23) a exacerbé le conflit à caractère ethnique dans un environnement caractérisé par une longue tradition de tensions intercommunautaires, il est d'avis, se référant au contexte du génocide des Tutsi en 1994 - où l'Etat et les organes de l'Etat (dont l'armée) constituaient le rouage de la machine - que cela reste hypothétique en RDC. Ses raisons tiennent au fait que l'armée congolaise se caractérise notamment par sa faiblesse et son incapacité à contrôler le territoire, ce qui la conduit "parfois" à s'allier avec des rebelles et des miliciens (dans l'est du Congo).
Ainsi, Mr. Boisselet nous donne l'occasion de faire deux constats :
Premièrement, il a omis de mentionner qu’à l'Est de la RDC, notamment au Nord et au Sud-Kivu, les alliances nouées par les FARDC sont faites uniquement et exclusivement avec les groupes armés idéologiques qui se réclament d’ethnies « autochtones » et qui se targuent de défendre le territoire congolais contre « l’envahisseur rwandais », les tutsi. Pas donc besoin d’être expert en conflits pour anticiper le danger qui guette la communauté tutsi en RDC.
Deuxièmement, le coordinateur de la recherche sur les violences au Congo a oublié de mentionner que si l'Etat n'est pas impliqué dans les massacres, comme ce fut le cas au Rwanda en 1994, non seulement il ne fait aucun effort pour briser ces alliances qui pêchent contre l’éthique militaire, mais aussi, il n'applique aucune mesure de dissuasion à l'encontre des auteurs des discours d'incitation à la haine ethnique contre les tutsi en général et les Banyamulenge en particulier; des appels à la haine qui se sont pourtant multipliés ces deux dernières années pour atteindre des proportions indescriptibles.;
Monsieur Broisselet n’est pas le seul à sous-estimer, à minimiser ou à mal-comprendre la complexité du danger de génocide des tutsi en RDC. L'indifférence des médias étrangers et des organisations humanitaires et des droits humains sur la persécution des Banyamulenge (depuis 6 ans), même lorsqu'ils ont été chassés de leurs villages pour se réfugier à Baraka et/ou à Bwegera (plaine de la Ruzizi) où ils sont accessibles aux caméras du monde, en dit long sur l'ignorance de la gravité de cette menace par plus d'un acteur.
D'ailleurs, cette indifférence ne serait-elle pas une conséquence de la manière dont, Kivu Security (le baromètre sécuritaire du Kivu), ex-organisation de Boisselet présentait (ou présente encore) les choses ? N’avait-il pas faussement justifié les attaques des MAI-MAI contre les villages Banyamulenge de Bibokoboko (du 13 au 15 octobre 2021) comme une riposte aux provocations des Twirwaneho ? Le message pouvait être lu sur Map - Kivu Security tracker dans sa rubrique FPDC Clash du 15 octobre 2021.
C’est donc depuis des années qu’on minimise et/ou qu’on rejette systématiquement le risque d'un génocide contre les Tutsi en RDC. Pourtant, ce génocide est pratiquement en cours d’exécution depuis au moins 6 ans, notamment dans les Hauts et Moyens-Plateaux de Minembwe.
Il est reconnu que le génocide n'est pas seulement l'élimination totale ou le meurtre collectif d'une communauté, mais un crime qui consiste en l'élimination concrète et intentionnelle des membres d'un groupe ethnique (ou religieux) en vue de rendre sa vie difficile ou impossible. Ensuite, le génocide est un processus qui comprend plusieurs étapes dans son exécution.
En effet, outre les centaines de personnes tuées (au cours de ces deux dernières années) dans les hauts et moyens plateaux de Minembwe en raison de leur appartenance à la communauté tutsi et Banyamulenge, dont un enfant de 14 ans tué à la machette à Minembwe par un militaire des FARDC (qui a démembré le cadavre de la victime), et 3 femmes tuées par les MAI -MAI qui ont pris le sadique plaisir de mutiler leurs seins et organes génitaux, les crimes de faciès contre le Major Kaminzobe (officier des FARDC) et Mr. Ntayoberwa (un civil), tous Banyamulenge, tués (et leur chair mangée) respectivement à Lweba (Fizi, Sud-Kivu) et à Kalima (Maniema) sont des preuves d’un génocide en cours.
Si la chair des deux dernières victimes a été mangée par leurs massacreurs, ce n'est certainement pas par un appétit immodéré pour le beefstack humain. C'est tout simplement parce qu'il s'agit de Tutsi Banyamulenge, présentés par les Bitakwira et consort comme des serpents qu'il faut tuer. La logique ou le mot d’ordre étant que « si vous trouvez une vipère ( et donc les utsi) dans votre écurie (la RDC), il ne faut pas la laisser s'échapper, sinon, elle ne manquera pas de vous mordre ».
Par ailleurs, l'armée idéologique anti-tutsi (les MAI-MAI), sous l'œil bienveillant des FARDC (qui leur fournissent armes et munitions), a décimé l'élevage du gros et du petit bétail qui constituait la principale, sinon la seule industrie économique de la communauté Banyamulenge dans les Hauts et Moyens-Plateaux de Minembwe; mettant en péril, ou rendant ainsi impossible leur vie.
Mr. Boisselet considère certainement que le risque de génocide contre les Tutsi est éloigné en raison du "petit" nombre de personnes tuées à ce jour. Il se dit sûrement que cela ne représente que quelques centaines de victimes pour une communauté qui se compte par milliers. Mais cela n'empêche pas que ces crimes soient qualifiés de crimes de génocide. Kishishe qui a bénéficié d'une immense exposition médiatique n'a pas fait plus de morts que ceux connus pour avoir été tués en raison de leur appartenance à la communauté tutsi Banyamulenge dans les Hauts Plateaux de Minembwe.
Mais aussi, et à l'instar de la localité de Bisesero au Rwanda en 1994 qui avait résisté aux multiples assauts des Interahamwe avant que la mission turquoise ne vienne les aider à y accéder, le risque que Minembwe soit envahi par les MAI-MAI (l'assiègent depuis quelques années) à l’aide des FARDC et des Imbonerakure du Burundi est grand et inévitable.
D'aucuns savent que si l'avancée de la machine génocidaire se heurtait encore à la résistance du groupe d'autodéfense civile Twirwaneho (qui a ralenti l'extermination des Banyamulenge), la coalition MAI-MAI et FARDC renforcée par l'entrée en lice de leurs nouveaux alliés burundais des Imbonerakure - dont M. Boisselet est sans ignorer la présence et la mission à Minembwe -, conduira certainement à briser le fragile et dernier verrou de défense détenu par Twirwaneho.
Comme M. Degni Ségui, rapporteur spécial sur les droits de l’homme au Rwanda en 1994, qui déclara que ce qui se passait au Rwanda était ni plus ni moins un génocide contre la minorité tutsi, Mr. Pierre Boisselet devrait avoir le courage de passer entre les mailles de l’hypocrisie et de reconnaitre qu’on assiste « d’ores et déjà » à un génocide contre les Tutsi en RDC.
14 janvier 2023
Pour les Chroniques des Hauts Plateaux
Mwalimu Gérard
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