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Quand la libération dérange : Uvira face à la complicité du monde

  • Paul KABUDOGO RUGABA
  • il y a 2 heures
  • 8 min de lecture

 

Analyse juridico-politique de la situation sécuritaire et des discours de haine en République démocratique du Congo


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La population de la ville d’Uvira a subi, durant cette année qui écoule, une succession de violations graves de ses droits fondamentaux, caractérisées par des violences armées dont les auteures sons pour la plus part de cas de Wazalendo, (une association de milice du gouvernement), des déplacements forcés et une insécurité chronique. Ces faits s’inscrivent dans un contexte de conflit prolongé qui a durablement affecté les civils, en violation manifeste des principes consacrés par le droit international humanitaire, notamment la protection des populations civiles en période de conflit armé.

La libération récente de la ville d’Uvira par les forces de l’AFC-M23-MRDP aurait dû ouvrir une ère nouvelle, non seulement pour cette cité meurtrie, mais également pour les territoires environnants et les provinces voisines soumises aux mêmes affres. Pour une population profondément éprouvée, cette libération porte l’espoir légitime d’un retour progressif à la sécurité, à la dignité et à une vie débarrassée de la peur. Pourtant, cet espoir naissant a été rapidement assombri par certaines prises de position attribuées à des acteurs de la communauté internationale, notamment issus de cercles diplomatiques européens, appelant au retrait des forces libératrices.

Une telle exigence ne peut que susciter de graves interrogations. Comme si une libération accomplie sans effusion de sang ne suffisait pas. Comme si l’absence de cadavres privait certains observateurs d’un récit tragique à commenter, d’un spectacle sanglant à exploiter. Triste ironie de l’histoire : là où une population aspirait ardemment à la paix, d’autres semblaient déplorer l’absence de bains de sang.

Il importe pourtant de rappeler que la libération d’Uvira et de ses localités environnantes s’est déroulée sans violences majeures. Loin de constituer un échec, ce fait devrait au contraire être reconnu comme un signe de retenue opérationnelle et de respect de la vie civile. Les manifestations spontanées observées dans les zones libérées, au cours desquelles la population a exprimé son soutien aux forces libératrices, témoignent d’une aspiration collective à la paix, à la stabilité et à la préservation de la vie humaine.  Bravo, une fois de plus AFC-M23-MRDP!

La scène actuelle et l’attitude de l’Europe rappelle ce qu’on voit dans des films absurdes, où l’on mène deux taureaux à l’arène non pour une nécessité, mais pour le seul plaisir d’un spectacle cruel. Ainsi semble agir le monde, qui voudrait transformer la souffrance du peuple congolais en divertissement, en matière à commentaires, en images à consommer puis à oublier, comme si la douleur humaine devait servir à nourrir des récits préfabriqués, sans jamais chercher à en tarir la source.

Face à cette mise en scène indécente, il appartient désormais aux Congolais de dire non. Un non qui ne soit ni timide ni calculé, mais un non profond, sincère, catégorique — un non qui jaillit du cœur et de la conscience collective. Les forces libératrices ne doivent, en aucun cas, se retirer des zones qu’elles contrôlent. Elles sont composées de Congolais, elles protègent des Congolais, et ces derniers ont un droit inaliénable à la vie, à la sécurité et à la dignité. Défendre ses frères n’est pas un crime ; c’est un devoir.

Même si l’Occident s’est choisi un « bouc- commissaire », en l’occurrence le Rwanda,  sur lequel il exerce une pression insupportable pour influencer le mouvement révolutionnaire à obtempérer aux ordres impérialistes, cela ne doit en rien faire reculer le mouvement révolutionnaire, pas même d’un pas. Céder à la pression européenne pour ce cas-ci, c’est prolonger la misère, institutionnaliser la souffrance et banaliser la mort à l’est de la République démocratique du Congo. Ce n’est pas résoudre le problème, c’est l’aggraver. Ce n’est pas apaiser, c’est condamner à la répétition infinie des mêmes tragédies.

Si cette Europe, qui se prétend moralement supérieure, estime réellement devoir intervenir, qu’elle le fasse ouvertement, sans faux-semblants ni intermédiaires. Qu’elle assume clairement ses choix et ses responsabilités. Alors, et alors seulement, le peuple congolais saura identifier sans ambiguïté qui est son véritable adversaire. Car ce que refuse le Congo aujourd’hui, ce n’est pas la paix. C’est l’hypocrisie. Ce n’est pas le dialogue. C’est le spectacle de sa propre souffrance.

À cette situation sécuritaire déjà critique s’ajoute un phénomène particulièrement grave : la banalisation, voire la légitimation institutionnelle, de discours de haine à caractère ethnique. Des individus notoirement connus pour la diffusion de propos tutsiphobes, assimilant les Tutsis congolais et les Banyamulenge à des « cafards » ou à des « virus », et appelant explicitement à leur extermination, ont été reçus par des autorités de premier plan de l’État congolais. La diffusion répétée de tels propos constitue une incitation directe et publique à la commission de crimes internationaux, prohibée par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948.

La présence publique de Jean-Claude Mubenga aux côtés du Président de la République, ainsi que de la ministre des Affaires étrangères et, antérieurement, du Ministre de la Communication, soulève une question fondamentale de responsabilité politique et juridique. En droit international, la tolérance ou l’inaction face à des appels explicites à la violence peut engager la responsabilité de l’État, notamment au regard de l’obligation de prévenir le génocide, telle qu’interprétée par la Cour internationale de Justice.

Ces faits s’inscrivent dans une continuité préoccupante. Il convient de rappeler que des figures associées à l’idéologie génocidaire ayant conduit aux événements de 1994 au Rwanda ont, par le passé, bénéficié d’un accueil officiel et d’une protection sur le territoire congolais. De même, Justin Bitakwira Bihona-Hayi, dont les discours de haine ont été largement documentés par des organisations nationales et internationales, a été reçu à plusieurs reprises au plus haut niveau de l’État, malgré les appels à des sanctions ciblées restés sans effet.

Par ailleurs, le soutien politique et financier accordé à des auteurs et idéologues tels que Charles Onana, dont les écrits sont largement considérés comme négationnistes et incitatifs à la haine, contribue à la normalisation de narratifs dangereux et contraires aux obligations internationales de la RDC en matière de lutte contre le racisme et la discrimination.

Enfin, les déclarations récentes de l’ambassadeur du Burundi, Thérence Ntahiraja, devant le Parlement européen le 19 décembre 2025, accusant le M23 d’agressions contre le Burundi en l’absence d’éléments factuels probants, illustrent les mécanismes de désinformation et de manipulation du discours diplomatique qui aggravent les tensions régionales plutôt que de contribuer à leur résolution pacifique.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, une question juridique et morale majeure demeure : les principes de justice internationale, de prévention des crimes de masse et de protection des minorités sont-ils appliqués de manière universelle et non sélective ? L’absence de réponses claires et d’actions concrètes face à ces violations risque, à terme, de compromettre gravement la crédibilité du système international de protection des droits humains.

 

Les Hauts Plateaux : une communauté tour à tour assiégée puis bombardée  dans l’indifférence internationale

Parallèlement, la situation dans les Hauts Plateaux demeure d’une gravité extrême. Depuis près de dix années, la communauté banyamulenge y subit des attaques incessantes menées par des forces coalisées — les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), l’armée burundaise, les FDLR et les groupes Wazalendo. Cette violence   a plongé la région dans un isolement quasi total, assimilable à un siège prolongé, transformant de facto les Hauts Plateaux en une véritable prison à ciel ouvert pour la population civile.

L’embargo imposé sur les principales voies d’approvisionnement a entraîné des pénuries chroniques de denrées alimentaires et de médicaments, privant les civils des moyens élémentaires de survie. Une telle pratique constitue une violation grave du droit international humanitaire, notamment de l’article 54 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, qui interdit explicitement le recours à la famine des populations civiles comme méthode de guerre.

Plus préoccupant encore, cette stratégie d’asphyxie s’accompagne d’attaques militaires directes. Des drones armés et des avions de chasse de type Sukhoï sont maintenant utilisés pour bombarder des villages habités exclusivement par des civils banyamulenge. Ces frappes, menées de manière répétée et ciblée, ont provoqué des pertes humaines considérables, la destruction de l’habitat et un climat de terreur permanent au sein de la population.

Ainsi, pour la neuvième fois consécutive, les Banyamulenge s’apprêtent à célébrer les fêtes de Noël dans des cachettes de fortune, au milieu des bains de sang, des destructions massives et de deuils généralisés. La répétition de ces violences, leur caractère sélectif et leur inscription dans la durée traduisent une volonté manifeste de briser, voire d’anéantir, cette communauté en tant que groupe distinct.

Ces faits sont susceptibles de relever de la qualification de crimes contre l’humanité au sens de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, notamment les actes de persécution et autres actes inhumains causant intentionnellement de grandes souffrances. Au regard de leur ampleur, de leur systématicité et du ciblage exclusif de la communauté banyamulenge, ils soulèvent également la question d’une possible qualification de génocide, dès lors qu’il s’agit de soumettre intentionnellement un groupe protégé à des conditions d’existence incompatibles avec sa survie.

L’absence de réaction substantielle de la communauté internationale face à ces violations flagrantes contraste fortement avec son activisme dans d’autres contextes de crises. Cette asymétrie interroge profondément la cohérence, l’impartialité et la crédibilité des mécanismes internationaux de prévention des atrocités de masse, en particulier dans l’est de la République démocratique du Congo, où l’impunité continue de nourrir la répétition des crimes les plus graves.

Éléments constitutifs de l’intention génocidaire (dolus specialis)

La qualification de génocide, au sens de l’article 6 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, repose sur l’existence d’un élément intentionnel spécifique (dolus specialis), à savoir la volonté de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel. Cette intention, par nature rarement formulée de manière explicite, peut être établie par un faisceau d’indices graves, précis et concordants, tels que reconnus par la jurisprudence internationale.

En l’espèce, plusieurs éléments convergents permettent d’étayer l’existence du geneocide à l’égard de la communauté banyamulenge. Premièrement, la durée exceptionnelle de l’isolement imposé — près de neuf années de siège de facto — dépasse largement le cadre d’opérations militaires ponctuelles et s’inscrit dans une politique prolongée visant à détruire les conditions matérielles de survie du groupe. Deuxièmement, l’embargo systématique sur les voies d’approvisionnement, entraînant une famine structurelle et des pénuries médicales chroniques, révèle une instrumentalisation délibérée de la souffrance civile, prohibée en toutes circonstances par le droit international humanitaire.

Troisièmement, l’utilisation répétée de drones armés et d’avions de chasse de type Sukhoï pour bombarder des villages exclusivement habités par des Banyamulenge constitue un indicateur particulièrement probant de ciblage intentionnel d’un groupe protégé. L’absence d’objectifs militaires identifiables dans ces zones, combinée à la répétition des frappes et à leur caractère sélectif, exclut l’hypothèse de dommages collatéraux accidentels et renforce l’hypothèse d’une politique de destruction ciblée.

Quatrièmement, ces actes s’inscrivent dans un contexte plus large de déshumanisation systématique, nourri par des discours publics assimilant les Banyamulenge et, plus largement, les Tutsis congolais à des « cafards », des « virus » ou des menaces existentielles. La jurisprudence internationale reconnaît que de tels discours de haine, lorsqu’ils accompagnent des actes de violence massive, constituent des indices déterminants de l’intention génocidaire, en ce qu’ils préparent psychologiquement et socialement l’acceptation de l’extermination du groupe visé.

Enfin, la répétition annuelle de ces violences — contraignant la communauté banyamulenge à passer, pour la neuvième fois consécutive, les fêtes de Noël dans des cachettes, sous la peur permanente des bombardements, au milieu de massacres et de deuils collectifs — démontre la persistance d’un schéma de destruction progressive du groupe, tant sur le plan physique que psychosocial. Cette continuité temporelle est un élément central dans l’établissement du dolus specialis, tel que reconnu par les juridictions internationales.

 

 

Le 23 décembre 2025

Paul Kabudogo Rugaba

 
 
 

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