Akagara : quand le nationalisme devient une captivité psychologique
- Paul KABUDOGO RUGABA
- il y a 3 jours
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 19 heures
Analyse du comportement d’un petit groupe se disant nationaliste sous l’angle du syndrome de Stockholm
Accroche
Ils se présentent comme des patriotes intransigeants, défenseurs de la souveraineté congolaise et de l’unité nationale. Mais derrière ce discours enflammé se cache un paradoxe déroutant : ces “nationalistes” d’Akagara semblent avoir intériorisé le langage, les réflexes et même les obsessions de ceux qui oppriment le pays et exterminent les Banyamulenge. Leur ferveur n’est pas une force de libération, mais une prison mentale — une forme de syndrome de Stockholm politique, où l’amour de la patrie se confond avec la soumission à ses bourreaux.
1. Du patriotisme à la servitude idéologique
“Le nationalisme est le dernier refuge du scélérat”, écrivait Samuel Johnson. Cette formule, vieille de trois siècles, reste d’une actualité brûlante. Chez certains groupes se réclamant du nationalisme congolais, à l’image d’Akagara, des Wazalendo etc., le patriotisme devient une arme dirigée non contre les vrais prédateurs du pays — les corrupteurs, les exploitants des minerais, les manipulateurs étrangers — mais contre les citoyens eux-mêmes, notamment ceux qui refusent le mensonge ainsi que la minorité ciblé comme bouc-émissaire.
Sous couvert de défendre la nation, ils répètent le discours du pouvoir oppresseur : les mêmes mots (“balkanisation”, “infiltration”, “traîtres à la patrie”), les mêmes ennemis désignés ( le M23, les Twirwaneho, le Rwanda…), les mêmes postures de méfiance. Le résultat : une inversion morale où l’opprimé parle la langue du bourreau, croyant défendre la nation alors qu’il la justifie dans son propre asservissement.
Dans presque toutes les interventions publiques, les mêmes formules ressurgissent, comme un refrain usé : politiciens en mal de positionnement, agents de l’étranger, brebis galeuses, supplétifs, patins…Un vocabulaire tantôt emprunté au pouvoir oppresseur, tantôt hérité des anciens dictateurs, pour qui l’insulte tenait lieu d’argument et la diffamation de pensée politique. Ainsi, le débat public s’appauvrit, réduit à un échange de quolibets, tandis que s’éteint peu à peu la flamme de la réflexion.
Voilà donc ce qu’il reste du patrimoine intellectuel d’une société qui a troqué la pensée critique contre la rhétorique du mépris, et l’analyse contre la dérision. Mais une question s’impose, ironique et douloureuse à la fois : ceux qui raillent les “mal positionnés” sont-ils eux-mêmes bien positionnés ? Dieu seul le sait — mais une chose est certaine : ils ne le seront jamais aux côtés de Félix Antoine Tshisekedi.
Et même lorsqu’ils occupent des positions de pouvoir, leur pouvoir n’est que passager : il se révèle vite être un leurre, un appât destiné à les instrumentaliser contre leurs propres frères. Qu’importe le résultat immédiat, tôt ou tard on se débarrassera d’eux
La seule voie durable est la communion des consciences : s’unir, refuser la logique du prélèvement identitaire et combattre sans relâche l’idéologie divisionniste et génocidaire que certains kakistocrates et kleptomanes ont enracinée dans la région. Ce n’est ni une tâche d’un jour ni une bataille de rhétorique ; c’est une œuvre de reconstruction morale et politique, qui exige lucidité, discipline et courage collectif.
Un peuple qui se rassemble pour défendre la dignité commune ne laisse plus de prise à la manipulation. Lorsqu’on choisit l’unité plutôt que la suspicion, la vérité plutôt que l’invective, la solidarité plutôt que la rivalité, la région retrouve la possibilité d’un avenir qui ne soit pas écrit par les prédateurs du présent.
2. Le syndrome de Stockholm, une clé de lecture
Le syndrome de Stockholm est un phénomène psychologique observé en 1973 lors d’une prise d’otages à Stockholm : les victimes, après plusieurs jours de captivité, en vinrent à défendre leurs ravisseurs et à leur témoigner de la sympathie. Ce mécanisme — fait d’attachement, de rationalisation et de dépendance — s’applique étonnamment bien à certains comportements politiques.
Chez Akagara, le parallèle est troublant :
1. on identifie à l’oppresseur, en adoptant sa rhétorique et ses priorités ;
2. on justifie le bourreau, en excusant les violences ou les injustices d’État ;
3. on rejette les libérateurs, en accusant de trahison ceux qui dénoncent les dérives.
Ainsi, la domination devient familiarité, et la révolte, une faute morale. Le groupe s’enferme dans une relation psychologique d’obéissance émotionnelle vis-à-vis du pouvoir qu’il prétend contester.
3. Le faux nationalisme : entre peur et reconnaissance
Pour comprendre Akagara, il faut regarder au-delà de la façade idéologique. Leur “nationalisme” n’est pas toujours cynique : il traduit souvent une peur viscérale d’être exclus du cercle national, marginalisés ou assimilés à “l’ennemi”. Alors, par réflexe de survie, ils se surconforment au discours dominant. Ils croient se protéger par l’excès de zèle, mais ne font qu’enchaîner leur esprit à la propagande. Comme l’écrivait Albert Camus : “Le plus grand service qu’un homme puisse rendre à son pays est de lui dire la vérité.”Akagara, en préférant l’obéissance à la vérité, trahit l’essence même du patriotisme.
4. L’inversion des valeurs
Le vrai patriote défend la justice, même contre son gouvernement. Le faux patriote défend le gouvernement, même contre la justice. C’est toute la différence entre l’amour d’un pays et la peur de le perdre.
Comment se fait-il que ceux-là mêmes qui accusent les autres d’être à la solde d’intérêts étrangers se muent, sans scrupule, en défenseurs acharnés de l’armée burundaise qui assiège nos localités ?
Comment comprendre que ceux qui, hier encore, s’indignaient de la présence de troupes rwandaises venues traquer Masunzu, se fassent aujourd’hui les laudateurs empressés des forces burundaises, dont l’objectif avoué est d’anéantir l’autodéfense Twirwaneho ? Comment peuvent-ils, sans rougir, nier la responsabilité burundaise dans le massacre de Gatumba, alors que certains de leurs compatriotes, à l’image du pasteur Habimana lui-même, en ont revendiqué la barbarie ?
Ce qui frappe davantage encore, c’est cette étrange géométrie variable de la conscience. Lorsque les atrocités sont commises par les Forces armées de la République démocratique du Congo ou leurs supplétifs Wazalendo, les prétendus défenseurs des droits humains se transforment en ombres silencieuses : leur voix s’éteint, leur courage s’évapore, et leurs mots, lorsqu’ils daignent en prononcer, prennent la forme de prières timides, murmurées comme pour excuser l’inexcusable.
Mais qu’un simple citoyen ose élever la voix pour défendre sa communauté, et voilà que l’ardeur renaît soudain : les insultes jaillissent, les accusations se déchaînent, et les spectres du passé ressurgissent — ceux des anciens mouvements politico-militaires que l’on agite comme des fantômes commodes, oubliant qu’ils ne furent, en vérité, que les fruits amers d’une politique de discrimination que nul n’a jamais eu le courage d’affronter.
En accusant les minorités, les défenseurs des droits humains ou les voix critiques d’être “vendus à l’étranger”, Akagara s’enfonce dans une logique d’autodestruction. Il devient le bouclier du pouvoir et le fouet du peuple — un rôle tragiquement ironique pour un mouvement qui prétend “aimer le Congo”.
5. Libérer la conscience avant de libérer la nation
Tant que les consciences resteront prisonnières du discours des oppresseurs, la nation demeurera otage d’elle-même. La véritable libération ne viendra pas des armes ni des slogans, mais d’un travail intérieur : désapprendre la peur, désobéir à la manipulation, penser par soi-même.
Car le Congo n’a pas besoin de plus de “nationalistes” : il a besoin de citoyens lucides, capables d’aimer sans haïr, de croire sans idolâtrer, et de défendre sans se soumettre.
“On ne libère pas un peuple en lui enseignant la haine, mais en lui restituant la vérité.”
Et c’est là que le combat contre les “Akagara de la pensée” doit commencer : non pas sur les champs de bataille, mais dans les esprits.
Akagara incarne une pathologie moderne du patriotisme : celle d’un amour captif, qui finit par ressembler à une servitude volontaire. Il ne s’agit plus de défendre la nation, mais d’en imiter les bourreaux, d’en protéger les mensonges, d’en propager les peurs. Tant que ce faux nationalisme triomphera, le Congo restera divisé entre ceux qui pensent et ceux qui répètent. Et le jour où le patriotisme se confondra enfin avec la vérité, le pays aura commencé à guérir.
Le 2 novembre 2025
Paul Kabudogo Rugaba




Commentaires