Le Président Errant au-Dessus des Nuages, le Peuple au Bord du Gouffre.
- Paul KABUDOGO RUGABA
- il y a 20 heures
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Pendant qu’à Doha, au Qatar, l’on paraphe laborieusement des accords de principe — de fragiles passerelles exploratoires destinées à vérifier s’il existe encore une ouverture, si mince soit-elle, vers de véritables négociations — Félix Antoine Tshisekedi, lui, s’empresse de décréter que dialoguer avec les rebelles reviendrait à « franchir une ligne rouge ».
Que signifie une telle proclamation, sinon une contradiction flagrante entre le discours diplomatique et l’attitude politique ? C’est une absurdité stratégique, une dissonance qui révèle moins une position de force qu’une incapacité à assumer la complexité de la crise.
Refuser le dialogue alors même que l’on envoie des émissaires signer des pré-engagements préliminaires relève d’un paradoxe presque théâtral. Cela revient à vouloir traverser un fleuve tout en refusant de poser le pied sur la barque. Cela revient à espérer la paix tout en fermant la porte par laquelle elle pourrait entrer.
Une telle posture peut signifier plusieurs choses :
une faiblesse politique masquée derrière des déclarations martiales ;
une peur de perdre la face devant une opinion qu’on a longtemps nourrie de discours bellicistes ;
une volonté d’entretenir la confusion pour se donner l’illusion d’un contrôle que la réalité dément ;
ou, plus grave encore, une stratégie consciente de prolonger le conflit pour des raisons qui échappent à l’intérêt national.
Car dans toute guerre qui dure, il existe toujours ceux qui vivent de la guerre plus qu’ils ne vivent pour la paix.
Déclarer que négocier serait franchir une ligne rouge, alors que l’on participe simultanément à des démarches pré-négociatrices, relève non seulement de l’absurde, mais aussi du dangereux. Cela empêche le pays de saisir les rares occasions d’apaisement, cela brouille la lecture du conflit et cela contribue à maintenir les Congolais dans une souffrance inutile.
Une paix refusée est une guerre prolongée. Et une parole contradictoire est une gouvernance vacillante.
Les Congolais méritent infiniment mieux que l’ombre d’un président qui s’évanouit dans les nuages, passant davantage de temps à survoler la nation qu’à la gouverner. Ils n’attendent pas un voyageur infatigable, un pèlerin diplomatique, mais un chef — un vrai, un homme qui demeure debout lorsqu’autour de lui tout vacille.
Il faut, un jour, oser dénouer le voile de courtoisie et regarder la réalité en face. Félix Tshisekedi n’a pas la posture d’un dirigeant enraciné dans la terre dont il porte le nom ; il semble plutôt errer d’aéroport en aéroport, comme si le pouvoir se mesurait au nombre de miles parcourus et non à la somme des vies apaisées. La scène politique congolaise n’a rien d’un hall de transit, et pourtant, il s’y comporte comme un passager pressé, toujours en mouvement, rarement présent, presque jamais essentiel.
Pendant que le pays brûle sous la braise des tensions qu’il attise par des discours imprudents, il s’évade vers d’autres horizons. Pendant que la crise s’approfondit, il s’abandonne aux parades protocolaires, aux photos où les sourires figés tentent de masquer l’absence de résultats. Chaque déplacement ressemble à un rite d’évitement, un exil volontaire hors de la réalité, une fuite en avant qui trahit la peur de regarder son peuple dans les yeux.
Et pourtant, les Congolais attendent. Ils attendent la lumière d’un leadership authentique, la gravité d’un dirigeant qui ose affronter la misère, l’insécurité, le désarroi qui rongent la nation comme une fièvre ancienne. Mais pendant que les familles manquent de tout, lui ne manque jamais un avion. Le contraste heurte la conscience : c’est indécent — indécent comme une abondance qui s’exhibe sur un sol affamé.
Le Congo n’a pas besoin d’un président errant, cherchant dans les capitales étrangères les solutions aux fractures qu’il contribue lui-même à élargir. Le pays réclame un homme dont les pas résonnent sur son propre sol, un homme qui écoute sa terre et son peuple, un homme capable de tisser une gouvernance qui ne soit pas un simulacre mais une promesse tenue, patiente, habitée.
Et pourtant, certains médias étrangers amplifient le mirage d’un sauveur occidental. La France — affaiblie par ses propres tourments, ses propres colères, ses propres failles — devient malgré elle le théâtre des illusions congolaises. Imaginer qu’elle pourrait, d’un geste, réparer ce que des années d’errance politique ont défait relève presque du conte. Comme l’a exprimé une voix française acerbe, cette croyance n’est pas seulement naïve ; elle frôle l’insulte adressée aux deux peuples.
La Belgique, parfois, semble rêver en silence d’une reconquête symbolique de l’ancien Congo, comme si l’Histoire n’avait jamais fermé ce chapitre douloureux. Elle avance masquée, feignant un soutien diplomatique à travers Bujumbura, laissant croire à une solidarité de façade alors qu’elle demeure attentive aux convulsions de la région. Sa presse, à l’instar de celle de la France, joue trop souvent le rôle d’un foyer que l’on ranime : attiser les braises au moment même où l’incendie devrait s’éteindre, orienter le récit pour façonner l’opinion, fabriquer des coupables commodes pour mieux dissimuler les véritables responsabilités.
Ces deux anciennes puissances coloniales utilisent encore leur poids symbolique, politique et médiatique pour imposer au monde l’idée simpliste que les malheurs de la RDC ne seraient que l’œuvre d’une « agression extérieure » menée par le Rwanda. Ce récit, devenu presque un réflexe diplomatique, sert à détourner les regards des racines profondes du drame congolais — des racines que la Belgique et la France connaissent parfaitement, car elles les ont elles-mêmes plantées. Car l’Histoire, elle, ne se laisse pas réécrire.
C’est la Belgique qui, dans la froide mécanique coloniale, a construit la division ethnique comme instrument de domination, dressant des communautés autrefois liées par des structures sociales complexes les unes contre les autres. C’est elle qui a inséré dans le tissu congolais des catégories, des hiérarchies et des fractures qu’aucun siècle ne pourra totalement effacer.
Et c’est la France qui, à travers l’ombre portée de l’opération Turquoise, a permis l’installation durable des forces génocidaires dans les montagnes de l’Est, laissant se constituer ce qui allait devenir le FDLR, l’un des acteurs centraux des violences qui ravagent encore la région. Ce n’est pas un secret : le monde entier le sait. Les archives, les témoignages, les enquêtes le rappellent inlassablement.
Mais le monde préfère hésiter, tergiverser, contourner l’évidence plutôt que de condamner clairement les responsabilités historiques. Il s’évertue à combattre les conséquences — l’instabilité, les groupes armés, les guerres récurrentes, la misère imposée aux populations — alors qu’il refuse obstinément d’affronter les causes.
Ainsi, la RDC demeure piégée dans un récit qui n’est pas le sien, mais que ses dirigeant répètent comme de perroquets, un récit écrit par d’autres pour protéger leur propre mémoire. Pendant ce temps, elle porte encore le poids des semences coloniales, dont les fruits amers se récoltent génération après génération.
Le Congo souffre. Il souffre d’une douleur ancienne et nouvelle à la fois, une douleur que les poignées de main, les discours creux et les parades diplomatiques ne parviennent plus à dissimuler. Là où l’on attendait un bâtisseur, un visionnaire, un homme d’État, l’on ne voit qu’un acteur fatigué d’une pièce répétée trop souvent, une mascarade en plein jour.
Mais le plus inquiétant demeure cette conviction, presque mystique, que la solution viendrait d’ailleurs : que des nations étrangères viendraient combler les silences d’un pouvoir absent. C’est une démission morale, un transfert de responsabilité déguisé en stratégie. La France n’a ni le devoir ni la capacité de réparer les fissures d’un leadership qui ne regarde plus vers son peuple.
Le Congo a besoin d’une présence. D’une voix qui reste. D’un homme qui n’arpente pas le monde pour fuir son pays, mais qui marche au milieu des siens pour le relever. Le pays n’a pas besoin d’un président dans les airs, mais d’un président sur terre — une terre blessée, certes, mais qui n’a jamais cessé d’espérer.
Le Pays qui Accuse les Siens : Genèse et Répétition d’une Persécution
L’histoire récente de la RDC semble rejouer, sous des formes nouvelles, un scénario ancien : celui de la construction méthodique d’un « ennemi intérieur », dont la figure se déplace au fil des décennies mais dont la fonction politique demeure la même. Et dans ce théâtre où l’État se cherche des coupables pour masquer ses échecs, les Banyamulenge n’ont cessé d’être placés au centre de la scène, non pas pour ce qu’ils sont réellement, mais pour ce que l’imaginaire politique congolais, façonné par des décennies de propagande, a voulu faire d’eux.
Les arrestations arbitraires d’officiers banyamulenge loyaux au gouvernement ne surgissent donc pas du néant. Elles prolongent une tradition inquiétante : celle où l'appartenance à cette communauté devient, dans certaines sphères du pouvoir, une faute originelle, un soupçon permanent, une menace qu’il faudrait neutraliser.
La longue genèse d’un stigmate
Depuis l’époque coloniale, la Belgique a instrumentalisé les identités locales, dressant les peuples les uns contre les autres selon une logique d’ingénierie ethnique dont l’objectif était de régner par la division. Les Banyamulenge, parlant kinyarwanda, furent précocement classés dans des catégories suspectes, perçus comme extérieurs, malgré leur présence multiséculaire dans les Hauts-Plateaux.
Ce discours identitaire, inscrit dans les structures mentales du pays, a survécu à l’indépendance. Il a nourri les crises du Zaïre, puis celles de la RDC post-Mobutu. À chaque période de trouble, la recette était la même : désigner les Banyamulenge comme des étrangers infiltrés, des agents d’une puissance voisine, des porteurs de menaces invisibles.
La construction politique de l’ennemi intérieur
Cette construction idéologique a profondément façonné l’État congolais. Elle a légitimé des exclusions administratives, des refus de nationalité, des massacres organisés, et aujourd’hui encore, des arrestations arbitraires.
Lorsque le colonel Patrick, mort en service, se voit refuser une inhumation digne parce qu’il est Banyamulenge, ce n’est pas un incident isolé : c’est la réactivation d’un vieux récit, celui qui transforme la mort d’un soldat en symbole de rejet.
Lorsque le général Gasita est empêché d’être déployé dans la zone dont il maîtrise pourtant le terrain, ce n’est pas une décision stratégique : c’est la répétition d’une logique d’exclusion héritée d’un imaginaire collectif qui le considère, lui aussi, comme suspect de par sa seule origine.
Et lorsque les colonels Nyamushebwa, Ruhorimber, Gapanda, etc sont arrêtés ou humiliés, c’est toute la mécanique historique de l’hostilité institutionnelle qui se remet en marche.
De l’exclusion administrative à la violence institutionnelle
Ce glissement est essentiel : on passe du simple soupçon ethnique à la sanction, puis à la violence, et parfois à la disparition. Ce schéma est classique dans l’histoire des persécutions. Ce n’est jamais une explosion soudaine ; c’est toujours une accumulation. On commence par contester la nationalité. Puis on conteste la légitimité.Puis la loyauté. Puis le droit de servir son pays. Puis le droit d’exister au sein de l’armée.Et, finalement, le droit d’exister tout court.
Les coups infligés au colonel Fureko, les morts mystérieuses, les arrestations successives : tout cela s’inscrit dans un continuum historique où la violence institutionnelle se déploie sous prétexte de sécurité, mais s’acharne en réalité sur un groupe ciblé.
Une continuité tragique entre le passé et le présent
Ainsi, ce qui se joue aujourd’hui au sein de l’armée congolaise n’est pas une série d’incidents isolés, mais la manifestation contemporaine d’un problème ancien : la stigmatisation persistante d’une communauté présentée comme étrangère même lorsqu’elle verse son sang pour la République. Cette continuité historique est la clé de lecture. Ce qui arrive aujourd’hui puise ses racines dans les récits fabriqués d’hier.
Tant que cette construction idéologique demeurera intacte — tant que les Banyamulenge seront considérés comme une anomalie sur leur propre territoire — l’État congolais se condamnera à reproduire les mêmes erreurs, les mêmes injustices, les mêmes violences.
Et l’arrestation arbitraire de soldats loyaux ne sera jamais perçue comme un abus, mais comme une mesure de « précaution », selon cette logique fallacieuse où l’on ne juge plus l’homme à ses actes, mais à son origine.
le risque d’une dérive institutionnelle
Lorsque la méfiance ethnique devient un critère d’arrestation, lorsque la loyauté n’est plus un bouclier, lorsque servir son pays mène à l’humiliation, alors l’armée n’est plus nationale : elle devient l’instrument d’une idéologie dangereuse. Et c’est là que réside la menace la plus grave : car une épuration ne commence jamais par des proclamations, mais par des pratiques répétées, tolérées, puis normalisées.
Breve Apercu historique
Depuis des décennies, les Banyamulenge sont placés au centre d’un mécanique politique, consistant en construction méthodique d’un un schéma « ennemi intérieur » non pour ce qu’ils sont, mais pour ce que l’imaginaire national, nourri par des récits ethno-politiques, a voulu faire d’eux. Les arrestations arbitraires de militaires banyamulenge aujourd’hui — colonels, généraux, simples soldats — ne sont que l’écho contemporain de cette longue tradition de stigmatisation.
Une généalogie du soupçon : des années 1990 à la Commission Vangu Mambweni
La décennie 1990 marque un tournant crucial. Avec l’effondrement du Zaïre, la crise économique, la montée du pluralisme politique et les violences dans la sous-région des Grands Lacs, le régime de Mobutu instrumentalise les identités pour consolider son pouvoir vacillant. C’est dans ce contexte que s’inscrit la Commission Vangu Mambweni (1995–1996), chargée précisément de déterminer qui est « Zaïrois » et qui ne l’est pas.
Cette commission fut un moment fondateur dans la marginalisation institutionnelle des Banyamulenge :
elle proposa explicitement de retirer la nationalité zaïroise à tous les Zaïrois d’expression kinyarwanda ;
elle recommanda des mesures administratives d’exclusion ;
elle jeta les bases idéologiques d’une politique qui allait justifier, dans les années suivantes, des violences massives.
Dans ses conclusions, la commission ne se contentait pas de remettre en cause des papiers ; elle redessinait la frontière entre « nous » et « eux », fabriquant ainsi un ennemi intérieur parfait : identifiable, vulnérable, et détaché de la nation par un simple décret.
Le basculement de 1996 : quand l’idéologie devient violence
L’année 1996 scelle tragiquement cette construction. Dans les Hauts-Plateaux, les Banyamulenge sont accusés d’être les précurseurs d’une « invasion étrangère ». Des appels publics — parfois radiodiffusés — appellent à les exterminer.
Les milices locales se mobilisent, appuyées par des segments de l’armée FAZ. Des villages entiers sont incendiés ; les Banyamulenge sont pourchassés, exécutés, déportés. Beaucoup fuient vers les forêts ou traversent la frontière.
C’est dans ce climat que naît l’alliance entre certains Banyamulenge et l’AFDL. Mais il est essentiel de rappeler que cette alliance fut moins un choix politique qu’une stratégie de survie, face à un État qui venait de retirer à toute une communauté son droit à vivre.
De l’AFDL au RCD et à l’FAC : les Banyamulenge pris dans la tourmente des guerres congolaises
Les guerres de 1998–2003 prolongent et complexifient cette dynamique. L’image du « Banyamulenge = rebelle » se renforce, non par réalité empirique — car l’écrasante majorité demeurait civile — mais par amalgame politique.
Durant la période du RCD-Goma et de son armée, l’FAC, la présence de quelques officiers banyamulenge en position de commandement devient un carburant politique pour les discours nationalistes qui les assimilent à des envoyés du Rwanda. Dans certaines provinces, des massacres ciblés sont commis sous prétexte de « résistance patriotique »,
Cette période forge dans l’imaginaire populaire l’équation dangereuse :Banyamulenge = agent extérieur = menace nationale, Balkanisation, empire Hima, hégémonie tutsi,
Une équation qui, aujourd’hui encore, structure silencieusement certaines décisions au sein de l’armée congolaise.
2003–2020 : de la transition à la stigmatisation institutionnalisée
La transition après Sun City était censée mettre fin aux discriminations ; elle n’a fait que les institutionnaliser de manière plus subtile. On assiste à :
des blocages administratifs pour les officiers banyamulenge ;
des affectations disciplinaires visant à les éloigner de leurs régions d’origine ;
des interrogatoires récurrents sur leurs « loyautés » ;
des humiliations, des menaces, et souvent des disparitions.
Dans les années 2010, l’émergence de la coalition Mai-Mai – Red Tabara – FNL – FARDC- Wazalendo est instrumentalisée pour renforcer la suspicion. Les Banyamulenge sont désormais piégés.
Le présent : une continuité historique qui se masque derrière la sécurité nationale
Les arrestations récentes ne sont donc pas des incidents isolés. Elles prolongent une logique vieille de trente ans : faire du Banyamulenge un suspect permanent, même lorsqu’il porte l’uniforme de la République, même lorsqu’il se sacrifie pour elle.
Ce qui se joue aujourd’hui n’est donc pas un simple problème disciplinaire ou sécuritaire :c’est la répétition tragique d’un schéma historique où l’État, pris dans ses contradictions, préfère sacrifier une minorité que faire face à ses propres défaillances.
Une dérive institutionnelle héritée du passé
La Commission Vangu Mambweni a posé le cadre idéologique. Les massacres de 1996 ont révélé la capacité de l’État à passer du discours à la violence. La période de l’FAC a consolidé les amalgames. Et les dérives actuelles au sein des FARDC montrent que cette architecture mentale demeure intacte.
Tant que la République ne rompra pas explicitement avec cette histoire de stigmatisation,tant qu’elle n’admettra pas publiquement la responsabilité de ses institutions dans les persécutions passées, elle continuera, inévitablement, à reproduire les mêmes erreurs : faire d’une communauté loyale une menace imaginaire, et transformer une injustice historique en politique d’État.
Le 22 Novembre 2025
Paul Kabudogo Rugaba




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