Mahina et les Banyamulenge : Histoire d’une tragédie et d’un règne tyrannique »
- Paul KABUDOGO RUGABA
- 19 oct.
- 53 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 oct.
Une harmonie brisée
Au cœur des moyens-plateaux, alors que les Banyamulenge s’installaient progressivement dans un environnement rude mais porteur d’espoir pastoral, un épisode dramatique vint bouleverser leur trajectoire. Mahina, fils de chasseur bafuliro, mena contre eux une guerre impitoyable dont les traces persistent dans la mémoire orale comme une épreuve existentielle.
Les attaques de Mahina contre les Banyamulenge débutèrent dans le contexte troublé de l’après-Première Guerre mondiale. Ce changement brutal reste une énigme, car jusque-là les 5 grandes communautés des Moyens-Plateaux, de la plaine de la Ruzizi et du littoral du lac Tanganyika – les Bavira, les Bafuliro, le Barundi, le Babembe et les Banyamulenge – vivaient dans une coexistence harmonieuse. Les échanges économiques étaient quotidiens, et les mariages intercommunautaires, particulièrement au sein des familles royales fuliru , scellaient des alliances solides.
Cette période d’équilibre était incarnée par Mwami Mukogabwe I et puis son fils Nyamugira père de Mukogabwe II Mahina. mukogabwe I était Marié à Nyirambibi, une femme munyamulenge du clan Abasinga, fille de Musana, il fut le symbole d’une ouverture politique et culturelle. De leur union naquit Nyamugira, qui succéda à son père, régna probablement entre 1880 et 1914. Nyamugira, à son tour, prit pour épouses plusieurs femmes banyamulenge, notamment Gahundano, fille de Gahiriri du clan des Basinzira, ainsi que Nyirabutiti, fille de Cungurira Mucundambega, également du clan des Basinzira.
La lignée de Mahina Mukogabwe II
De ce lignage naquit Mukogabwe II, plus connu sous le surnom de Mahina, qui régna probablement de 1914 à 1927. Contrairement à son père, il est décrit comme belliqueux et fauteur de troubles. Bien qu’issu d’alliances multiples avec les Banyamulenge, il devint paradoxalement leur persécuteur acharné.
Mahina lui-même avait contracté plusieurs unions avec des femmes banyamulenge. Parmi elles figuraient Nyagashindi et Toto, toutes deux filles de Munoni Rubumbira du clan des Basinzira ; Nyampinja, fille de Birukundi, fils de Buhiga ; Nyirasamaza du clan des Bazigaba remariée à Mvuyekure nka Mabano ; et Mbirizi, remariee à Ntagorama Binagana du clan des Bahondogo après le divorce avec Mahina. Nyirabahiga, fille de Mutayega Rukinagiza devint l’épouse de Mahina lui-même, et la mère de Rwugarira. Il y’aurait une autre femme dont le nom nous échappe, issu du clan de Abapfurika. C’est elle qui sera la mère de Matakambo, successeur de de Mahina. Il a qui régné depuis le 19/Mars/1933 en Mars 1939.
Les alliances entre Banyamulenge, Bafuliro et Bavira
Les alliances matrimoniales dépassaient d’ailleurs la seule figure de Mahina. Elles traversaient les grandes familles des deux communautés :
· Gashuri, père de Buhiga, avait épousé en secondes noces Nahubwe, sœur de Nyamugira mwami Bafuliro. De cette union naquit Mahano.
· L’une des quatre femmes de Buhiga, fils de Gashuri, était Mutunzi, aussi sœur de Nyamugira (bafuliro). Elle donna naissance à Gahanga, Gifota, Kibamba, Rubirira et Nyakana.
· Rutoki, sœur cadette de Nyampinja (fille de Birukundi), épousa Muzima Premier fils de Mukogabwe II Mahina.
· Nyimigunga, fille de Kamandwa (Abasita), devint l’épouse de Minyaruho (Bafuliro) et donna naissance à Ringine Ruremantusi, Kagosi Noe et Mujoba David.
· Nyabikeca, mère de Mutebutsi, était issue de la tribu des Bavira.
· Kibihira, fille de Ndabunguye, épousa Kigungu Muhezo et donna naissance à Mazibo.
· Nyiramayange, fille de Rwica du clan des Banyabyinshi, épousa Kararizi. De cette union naquirent Nyakabekabe et Runyaruka, futur chef de groupement de Lemera.
Un paradoxe historique
Ainsi, le paradoxe de Mahina Mukogabwe II est saisissant : né d’alliances multiples avec les Banyamulenge, marié à plusieurs femmes de cette même communauté, il devint pourtant l’initiateur d’une guerre sanglante contre eux. Cette rupture brutale, survenue après la Première Guerre mondiale, semble indiquer que les logiques coloniales, l’introduction des armes à feu et la manipulation des rivalités locales ont transformé une coexistence séculaire en conflit ouvert.
Mahina et la violence systématique contre les Banyamulenge
Contexte de la guerre contre Mahina
La guerre de Mahina contre les Banyamulenge, bien que rarement documentée dans les récits officiels ou externes, est fréquemment évoquée dans les traditions orales banyamulenge. Elle représente bien plus qu’un simple conflit territorial : elle incarne un moment de résistance culturelle, sociale, et politique face à une figure perçue comme prédatrice et étrangère aux normes locales.
Contrairement aux systèmes monarchiques classiques, Mahina n'était pas un roi à proprement parler. Il était un chef de guerre, ou un notable influent, issu, à la fois, d’une tradition de chasseurs-cueilleurs et d’une tradition des éleveurs-pasteurs, qui aurait cherché à imposer par la force son autorité dans une zone déjà investie par des familles pastorales tutsi profondément attachées à leur autonomie et à leurs valeurs coutumières.
L’affrontement s’inscrit dans un contexte de tensions multidimensionnelles :
· Concurrence pour l’accès aux ressources (terres de pâturage, points d’eau),
· Différences irréconciliables de culture (notamment en matière de régime alimentaire, de rapports aux tabous et à la pureté rituelle),
· Prédation sexuelle, Mahina étant accusé dans la tradition orale d’avoir enlevé ou convoité des filles et femmes banyamulenge, ce qui est vu comme une transgression intolérable dans cette société à la morale rigide.
· Enfin, prestige symbolique et enjeux de domination. Dans ces sociétés sans couronne, refuser de se soumettre à un pouvoir extérieur, c’était aussi revendiquer la souveraineté lignagère et coutumière, une manière d'exister politiquement dans un monde sans État.
Dans les récits oraux banyamulenge, la guerre de Mahina occupe une place particulière, non seulement en tant qu’événement militaire, mais surtout comme moment de cristallisation de tensions profondes liées au prestige, aux normes culturelles, et aux différenciations sociales. Mahina, chef bafulero originaire des confins des Moyens Plateaux, apparaît comme une figure de domination brutale, dont les ambitions heurtent à la fois les structures d’autorité lignagère et les sensibilités culturelles des Banyamulenge.
Un mode de vie structuré, perçu comme un privilège
À côté de la menace représentée par Mahina, un autre facteur alimentait les tensions : la perception que les banyamulenge bénéficiaient d’un mode de vie plus structuré et prospère. Éleveurs organisés, vivant selon un calendrier pastoral rigoureux, ils semblaient — aux yeux de leurs voisins — favorisés par la nature et par la discipline de leur culture.
La société banyamulenge se distinguait alors par un mode de vie pastoral organisé, une économie relativement stable fondée sur le cheptel, et une éthique sociale marquée par la sobriété, la retenue et une stricte sélection alimentaire.
Dans un monde incertain, les Banyamulenge avaient la capacité de planifier leur avenir. À partir d’un nombre de bovins connu, ils pouvaient estimer avec une relative précision leur richesse future, les dots à prévoir, les échanges possibles, ou encore les soutiens familiaux à organiser. Cette économie prévisible et reproductible, fondée sur l’élevage, offrait une certaine sécurité psychologique et matérielle.
Les communautés voisines, vivant davantage d’activités de subsistance aléatoires telles que la chasse, la cueillette ou une agriculture peu mécanisée, de la poterie et de la vannerie, voyaient dans les Banyamulenge un modèle social difficilement atteignable. À cet égard, la différence culturelle se doublait d’une différence symbolique, qui pouvait alimenter une forme de ressentiment latent. L’élégance réputée des filles banyamulenge, leur éducation stricte et leur réserve sociale renforçaient cette distance perçue entre groupes. Pour Mahina, ces éléments ont pu représenter un affront implicite à son autorité, à sa masculinité et à son statut local.
Le contraste était frappant avec d'autres communautés environnantes, souvent tributaires d’une économie de subsistance plus instable : chasse, cueillette, et une agriculture vulnérable aux aléas climatiques, sans stockage à long terme ni mécanisme de prévoyance suffisant. Cette précarité économique se traduisait parfois par un regard ambivalent sur le mode de vie des Banyamulenge, mêlant admiration, incompréhension et ressentiment.
À cette supériorité perçue dans la gestion du quotidien, s’ajoutait une dimension plus délicate, rarement exprimée publiquement : la question de l’élégance et de l’attrait esthétique. Dans les traditions orales ou les murmures populaires, il était reconnu — parfois avec envie, parfois avec dédain — que les filles banyamulenge étaient réputées pour leur élégance, leur prestance, et leur beauté singulière. Cette réputation, si elle flattait l’identité interne, pouvait attiser les convoitises ou les jalousies extérieures.
Cette stabilité économique, combinée à un raffinement vestimentaire et à une esthétique corporelle valorisée, contribuait à forger une image d’excellence, parfois perçue par les voisins comme arrogante ou provocatrice
Il serait naïf de penser que ces éléments — beauté, richesse bovine, stabilité — n'ont pas pesé dans les imaginaires collectifs. Dans les sociétés où l’honneur masculin se mesure aussi à la capacité de protéger ses femmes, sa richesse et sa réputation, ces qualités devenaient des objets de convoitise, de rivalité, voire de fantasme politique.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le comportement de Mahina. Derrière son ambition politique, il portait peut-être aussi une blessure d’orgueil, un désir inconscient de s’approprier ce qu’il ne pouvait atteindre autrement. L'envie se muait en prédation, la fascination en domination. Pour lui, s’imposer par la force était une manière de combler un vide ou d’effacer une différence vécue comme humiliante.
Mais la dimension sexuelle de cette guerre, bien que moins souvent discutée, est essentielle dans la mémoire collective. Plusieurs récits évoquent une série de prédations exercées par Mahina sur les femmes banyamulenge, perçues comme une atteinte insupportable à l’honneur communautaire. C’est dans ce contexte que Nyagahavu, soutenu par ses fils, ses dépendants et ses alliés, aurait livré les batailles les plus acharnées, dans une logique non seulement défensive, mais aussi morale.
La guerre contre Mahina symbolise donc bien plus qu’un simple conflit territorial ou politique. Elle incarne une résistance à la domination imposée de l’extérieur, une affirmation de la différence culturelle, et un refus de la subjugation morale. Elle rappelle que dans les sociétés pastorales où les liens lignagers, le prestige et la mémoire comptent autant que les armes, toute tentative d’unification forcée ou de captation des femmes à des fins de prestige est vécue comme une agression existentielle.
De génération en génération, cette mémoire a contribué à forger chez les Banyamulenge un sentiment aigu de vigilance, une conscience identitaire forgée dans l’épreuve, et une conviction profonde que la dignité collective doit être défendue, même au prix du sang.
Ainsi, derrière la guerre déclarée, ce qui se joue est aussi une lutte pour la reconnaissance : Mahina aurait tenté de s’imposer comme autorité centrale dans un espace où la souveraineté locale était fragmentée et jalousement préservée. Il aurait cherché à assujettir Kayira et Nyagahavu – deux figures patriarcales et chefs coutumiers reconnus – en exigeant d’eux des tributs (amaturo), une manière symbolique de s’affirmer comme suzerain. Le refus de ces derniers, fondé sur leur propre légitimité ancestrale, déclencha l’affrontement.
C’est dans ce contexte que se situent les figures de Nyagahavu et de Kayira. Tous deux, en tant que chefs coutumiers, ont incarné une double fonction : d’une part, celle de chefs militaires menant la défense de leur peuple, et d’autre part, celle de leaders communautaires assurant la cohésion et la continuité sociale. Leur mobilisation ne se limita pas à leurs seuls descendants directs : elle s’étendit également à leurs dépendants, à leurs alliés, et parfois même à d’autres communautés environnantes. Ces affrontements, bien que de nature défensive, occupent une place symboliquement centrale dans la mémoire collective ; ils ont durablement façonné l’ordre social, les récits généalogiques et les représentations de la résistance. C’est de cette expérience que naît, en grande partie, l’identité et la tradition du mouvement Twirwaneho.
La guerre opposant Mahina à Nyagahavu est, selon plusieurs traditions orales, moins un conflit politique qu’une réaction morale et sociale. Nyagahavu, profondément scandalisé par les exactions commises contre les femmes et les filles de sa communauté, aurait mené personnellement les combats les plus décisifs, refusant que l’honneur collectif soit bafoué.
Les batailles contre Kayira, quant à elles, semblent relever d’un registre davantage politique. Mahina chercha à imposer son autorité en exigeant de Kayira le versement d’impôts coutumiers (amaturo), geste qui revenait à nier son statut de chef autonome. Le refus catégorique de Kayira entraîna une offensive de Mahina. En réaction, Kayira organisa une contre-offensive qui, au-delà de la victoire militaire, affirma la légitimité de son autorité coutumière et la reconnaissance de son lignage.
L’instrumentalisation coloniale de Mahina et la fragilisation des équilibres sociopolitiques chez les Banyamulenge » comme cause réelle
Il est légitime de s’interroger sur les raisons qui ont conduit Mahina à transgresser les tabous ancestraux, à rompre l’harmonie jusque-là respectée entre communautés et à briser des équilibres sociaux réputés inviolables. D’où lui est venue une telle audace ?
Plusieurs sources orales suggèrent que Mahina aurait été instrumentalisé par le pouvoir colonial, dans un contexte où l’administration belge cherchait à affaiblir les Banyamulenge, perçus comme une communauté « insoumise » et difficile à contrôler. Sous prétexte de l’« effort de guerre » lors du premier conflit mondial (1914), l’autorité coloniale aurait encouragé, voire légitimé, la saisie de leur bétail, véritable pilier de leur économie pastorale et fondement de leur puissance sociale.
Par ce biais, l’administration coloniale s’attaquait à la base matérielle de l’autonomie banyamulenge. Le bétail, bien plus qu’une richesse économique, constituait un symbole de statut, de filiation et de souveraineté. En fragilisant cette ressource centrale, la puissance coloniale visait à réduire l’influence d’un groupe qu’elle considérait comme réfractaire à son autorité. L’alliance de circonstance entre Mahina et certains relais coloniaux permit alors de désacraliser des tabous jusque-là intangibles et de rompre des alliances intercommunautaires ancestrales, au profit d’un nouvel ordre de domination.
La tradition rapporte également qu’un des chefs de guerre de Mahina s’allia aux Barundi, profitant d’armes abandonnées par les troupes allemandes défaites. Ce facteur exogène accrut encore la capacité militaire de Mahina, renforçant son sentiment d’impunité et de suprématie militaire.
Ce scénario s’inscrit dans une dynamique plus large des politiques coloniales belges en Afrique centrale. L’administration coloniale recourait fréquemment à une stratégie de « diviser pour régner » : affaiblir les pouvoirs coutumiers les plus autonomes, réorganiser les hiérarchies locales et s’appuyer sur des chefs alliés pour asseoir son autorité. En soutenant tacitement Mahina, les Belges cherchèrent non seulement à briser l’économie pastorale des Banyamulenge, mais aussi à reconfigurer le champ politique local de manière à le rendre dépendant et contrôlable.
Ce soutien implicite, dissimulé sous une neutralité de façade, fut en réalité une forme de complicité active. Il permit à Mahina de mener ses actions avec assurance, sachant que l’administration coloniale ne l’entraverait pas. L’épisode illustre ainsi une constante de l’histoire coloniale : l’usage d’acteurs locaux comme instruments de domination, dans le but de transformer des équilibres sociaux établis en rapports de dépendance au profit du pouvoir colonial.
La dépossession planifiée des pasteurs tutsi
La diabolisation du capitalisme pastoral tutsi par l’administration coloniale belge fut bien plus qu’une simple incompréhension culturelle ; elle constitua une stratégie méthodique visant à contrôler, affaiblir et déposséder les communautés pastorales de la région des Grands Lacs. Sous la rhétorique technocratique de la « gestion rationnelle des ressources » et de la « protection des forêts » se dissimulait un projet politique clair : briser l’autonomie économique et sociale des pasteurs tutsi – notamment les Banyamulenge – pour les réduire à une existence sédentaire, dépendante et marginalisée, les rendant incapables de résister à la domination coloniale ou d’affirmer leur dignité collective.
Le plan était simple et brutal : remplacer l’économie pastorale tutsi, jugée « anti-économique », par une agriculture vira intensive, tout en réservant aux pasteurs un élevage confiné et contrôlé. Cette réorganisation spatiale visait à installer les Vira sur les terres des Banyamulenge, transformant ces derniers en simples ruraux tandis que les nouveaux arrivants deviendraient commerçants, artisans, ouvriers et intellectuels – en somme, la future élite dirigeante. Les autorités coloniales savaient que ce projet engendrerait des conflits durables, mais cela faisait partie d’une logique de domination raciale et économique assumée.
Cet héritage continue aujourd’hui de façonner les tensions foncières, économiques et identitaires dans l’est du Congo. Loin d’être un accident de l’histoire, la marginalisation contemporaine des pasteurs Banyamulenge s’inscrit dans une longue continuité de dépossession planifiée, imposée d’abord par la colonisation et perpétuée par des politiques postcoloniales héritières de ce paradigme de contrôle.
Comme le souligne Weis dans Le pays d’Uvira, l’administration belge considérait explicitement les pasteurs Banyamulenge – qu’elle désignait alors comme « Ruanda » – comme un obstacle à l’exploitation rationnelle de la région, qualifiant leur économie pastorale de « contre-productive ». Dans un chapitre intitulé « L’avenir et notre rôle dans la chefferie des Vira », l’auteur écrit :
« Les conclusions auxquelles nous ont amené les différents chapitres de cette étude peuvent se résumer brièvement. Le peuple Vira agriculteur, groupant les 2/3 de la population totale de la chefferie sur 1/7 de sa surface, se charge de fournir en vivres toute la population. Il y réussit – si l’on peut dire – au prix d’un épuisement inquiétant du sol, et au prix de la qualité même de l’alimentation. Sur cette agriculture repose toute l’économie de la région, car les Ruanda pratiquent sur l’ensemble du plateau et du haut versant (au total les 5/6 de la surface) une activité pastorale anti-économique […] » (Weis, p.271)
Ici, l’administration formule sans ambages son projet : déplacer progressivement les agriculteurs vira vers les Hauts Plateaux occupés par les Banyamulenge, sous prétexte d’améliorer la productivité foncière. Weis poursuit ainsi :
« Une seconde étape devrait permettre une migration plus accentuée de Vira vers le plateau, sans mouvement inverse aussi important des Ruanda. Pas d’inconvénient à cela, car les pâtures ne couvrent aujourd’hui qu’une partie du plateau et laissent donc de l’espace libre, car plus tard l’élevage Ruanda, devenu plus intensif, chercherait moins à conquérir de nouvelles terres qu’à mieux utiliser le domaine exploité. […] On en arriverait à un peuplement vira en taches sur le plateau, surtout dans les vallées relativement peu élevées (de 2.300 à 2.800 m) qui le bordent à l’est (Haute Kiliba) et à l’ouest. » (Weis, p.280)
Plus encore, ce projet impliquait une réorganisation complète de la société locale, conférant aux Vira les fonctions artisanales, commerciales et intellectuelles, tandis que les Banyamulenge seraient réduits au rôle d’élément rural subordonné :
« Même point d’interrogation quant à l’évolution respective des milieux coutumier et extra-coutumier. Ajoutons toutefois que l’intérêt commun veut que disparaisse la distinction actuelle entre une population exempte de notre influence économique et une population dévolue à notre besoin en main-d’œuvre ; toutes deux devront s’intégrer dans une organisation commune, à côté d’un système économique dont la première sera l’élément rural, et où l’autre groupera les classes commerçante, artisanale, ouvrière et intellectuelle. » (Weis, p.280)
Enfin, les autorités coloniales belges anticipaient déjà les conflits fonciers et identitaires que ce processus engendrerait. Leur solution n’était pas d’y renoncer, mais de renforcer la division politique et foncière pour mieux asseoir leur contrôle :
« Un problème politique particulier se pose dans la chefferie à propos des relations d’avenir entre Vira et Ruanda. […] Cette division politique risque plus tard de soumettre les populations vira émigrées sur le plateau à une autorité Ruanda et de réserver à ceux-ci la gestion politique de la région viable de la montagne d’Uvira. Il faut dès maintenant prévoir […] la création de nouveaux groupements vira dans les vallées du plateau où l’on pense installer peu à peu ceux-ci. » (Weis, p.286)
Ainsi, la dépossession des Banyamulenge et leur marginalisation ultérieure ne relèvent pas d’un hasard historique. Elles furent planifiées, justifiées, théorisées, et inscrites dans une logique de domination raciale et économique visant à remodeler la société des Hauts Plateaux au profit d’intérêts coloniaux et d’une hiérarchisation ethno-économique durable.
Le conflit entre Mahina et Nyagahavu, fils de Sebashi wa Ntwari : honneur, tragédie et dispersion
prestige, différence culturelle et tensions latentes
Nyagahavu, figure patriarcale éminente, s’était établi à Buraga, non loin de Réméra, à proximité directe de Mahina. Rien, dans les récits anciens, ne laisse transparaître une animosité initiale entre ces deux autorités coutumières, issues pourtant de deux traditions culturelles distinctes, presque opposées. D’un côté, Nyagahavu, chef respecté des siens, appartenait à la communauté Banyamulenge, peuple pastoral et profondément attaché à ses normes alimentaires, ses rituels de pureté et son mode de vie sédentaire. De l’autre, Mahina représentait les Bafulero, une société à dominante agro-forestière, réputée pour son rapport étroit à la chasse, à la cueillette et à une alimentation beaucoup plus variée.
Chez les Banyamulenge, l’alimentation était régie par un strict code culturel. Ils adoptaient un régime essentiellement végétarien, toujours accompagné de lait – symbole à la fois de richesse et de pureté. Les Banyamulenge consommaient exclusivement la viande de certains ruminants (bœufs, antilopes, buffles), excluant catégoriquement d’autres espèces comme le mouton, sans qu’il subsiste aujourd’hui de trace claire de l’origine de cet interdit. À l’inverse, les Bafulero étaient connus pour leur ouverture à une grande variété de viandes, y compris celles considérées par les Banyamulenge comme impures (zihumanya). Par exemple, le cochon était considere comme un réservoir des plusieurs maladies.
Cette divergence culturelle, qui pouvait paraître anodine, prenait un sens symbolique profond dans les relations sociales de l’époque. Un épisode, rapporté par la tradition orale, en témoigne. Un jour, Nyagahavu, accompagné de deux proches – Shabayangwa et Rusangiza – se rendit chez Mahina. Ce dernier, en train de prendre son repas, les invita à partager la table. Par politesse mais aussi par fidélité à ses règles coutumières, Nyagahavu déclina l’invitation, ne sachant pas la nature exacte de la viande servie. Ses compagnons, moins scrupuleux ou peut-être plus diplomates, acceptèrent de manger.
Mahina aurait perçu ce refus non comme une simple observance rituelle, mais comme un affront personnel, une marque de mépris (Kunena).
Cet incident, d’apparence mineure, pourrait avoir semé les germes d’une rancune durable. Dans des sociétés où l’honneur, le respect et le partage sont des valeurs centrales, un tel acte pouvait être interprété comme une atteinte à la dignité du chef hôte, d’autant plus s’il se sentait rabaissé aux yeux de ses invités et des siens. Ainsi, si la tradition n’évoque pas explicitement de conflit ouvert à ce stade, les dynamiques intercommunautaires révèlent des lignes de fracture potentielles, fondées non sur des rivalités politiques explicites, mais sur des perceptions subtiles de statut, de pureté, et de reconnaissance mutuelle. Ces différences culturelles, lorsqu’elles ne sont pas reconnues ou comprises, peuvent engendrer, à terme, des tensions aux conséquences profondes.
De la divergence rituelle au conflit larvé : quand les codes culturels nourrissent les tensions
L’incident entre Nyagahavu et Mahina – refus de partager un repas en raison de différences alimentaires – ne se résume pas à un simple malentendu coutumier. Dans les sociétés à forte symbolique sociale, comme celles du Sud-Kivu précolonial, chaque geste, chaque interaction entre notables portait une signification plus large. Le refus de manger ensemble pouvait signifier plus qu’un acte de prudence : il pouvait être interprété comme une remise en cause de la légitimité sociale ou du rang de l’autre.
Mahina, chef charismatique et influent dans sa région, aurait pu vivre cet épisode comme une humiliation personnelle. Dans une société où l’honneur est central, la mémoire de l’offense se conserve, se rumine, et peut rejaillir des années plus tard dans des contextes nouveaux. Les traditions orales n’indiquent pas une réaction immédiate, mais laissent planer l’ombre d’un ressentiment silencieux, potentiellement ravivé par d’autres facteurs : rivalités sur les pâturages, compétition pour les alliances, mésentente sur les limites des terres ou des responsabilités coutumières.
À cette époque, le prestige familial se construisait aussi autour de l’accueil et de la générosité. Refuser de manger chez quelqu’un, c’était briser un des piliers du lien social. D’un autre côté, pour un Munyamulenge de la stature de Nyagahavu, manger une viande jugée impure n’était pas un simple détail – c’était un risque de souillure rituelle et d’ostracisation dans sa propre communauté. Autrement dit, il était piégé entre les exigences de son identité culturelle et celles de la diplomatie coutumière.
Plus profondément, cet épisode cristallise une tension plus large entre deux conceptions du monde :
· D’un côté, une société pastorale attachée à des normes strictes de pureté, de hiérarchie générationnelle et de gestion communautaire du cheptel ;
· De l’autre, une société plus flexible, intégrée dans des logiques de chasse, de cueillette, d’agriculture, avec une vision plus extensive des règles alimentaires.
Avec le temps, ce différend symbolique aurait pu se greffer sur d’autres tensions liées à l'accès aux ressources : puits d’eau, couloirs de transhumance, zones de pâturage. Il n’est pas exclu que les descendants de Mahina aient ressenti, consciemment ou non, un besoin de revanche sociale ou de réaffirmation identitaire face à ce qu’ils auraient interprété comme un mépris ancestral. Le ressentiment, nourri par le silence et transmis à travers les générations, se mue parfois en conflits ouverts, surtout en période de crise politique ou d’affaiblissement de l’autorité centrale.
Dans ce sens, ce qui commence comme un conflit rituel, culturel ou symbolique peut, avec le temps, se transformer en conflit foncier, clanique ou politique – d’autant plus que les héritiers de ces figures historiques continuent d’habiter les mêmes espaces, de fréquenter les mêmes marchés, d’occuper les mêmes fonctions d’autorité locale ou de concourir aux mêmes ressources publiques.
Quand le souvenir devient arme : héritage symbolique et instrumentalisation contemporaine
Ce que la tradition rapporte sur Nyagahavu et Mahina ne relève pas uniquement d’un récit anecdotique du passé. Dans les sociétés postcoloniales du Sud-Kivu, où la mémoire orale reste un pilier structurant de l’identité collective, ces récits deviennent des repères dans la construction du "nous" et du "eux". L’incident autour du repas devient, pour certains, un acte fondateur de la méfiance intercommunautaire, un symbole de rejet et de non-reconnaissance mutuelle.
Avec le temps, ces souvenirs se sont enkystés dans la mémoire collective. Ils réapparaissent, souvent en période de crise, pour justifier ou alimenter la haine. Les tensions récentes entre les communautés Banyamulenge et Bafulero dans les zones de Fizi, Mwenga et Uvira sont imprégnées de cette histoire longue : disputes foncières, accusations de non-autochtone, remise en cause de la légitimité à posséder des terres ou à accéder à certaines fonctions politiques. Or, sous ces conflits visibles, persistent les non-dits culturels : l’absence ou rareté des alliances matrimoniales intercommunautaires
Depuis les années 1990, cette méfiance ancestrale a été récupérée, exacerbée et militarisée. Certains leaders communautaires ou politiques n’ont pas hésité à réveiller les fantômes du passé pour nourrir un récit de confrontation. Dans ce discours, la figure de Nyagahavu peut être utilisée pour symboliser l’arrogance supposée des banyamulenge, tandis que Mahina devient, pour d'autres, l’image du "vrai autochtone humilié". Ces représentations servent à légitimer des alliances armées, des déplacements forcés ou des campagnes de déshumanisation.
Paradoxalement, ce qui, à l’origine, était un choix culturel légitime — refuser un plat pour préserver un code rituel — est devenu un prétexte de conflit, brandi comme la preuve d’une incompatibilité sociale fondamentale entre deux peuples. On oublie ainsi que Nyagahavu, tout en gardant ses distances rituelles, avait reconnu l’autorité et les droits de Mahina, preuve qu’un équilibre entre différences culturelles et respect mutuel était possible.
Mais aujourd’hui, les codes culturels ne suffisent plus à préserver la paix. Dans un contexte où l’État congolais s’est désengagé des zones rurales, où les ressources sont de plus en plus disputées, et où les milices locales et étrangères imposent leurs lois, les récits ancestraux deviennent des outils de mobilisation violente. On ne se bat plus uniquement pour les terres, les troupeaux ou les collines : on se bat pour une interprétation erronée de l’histoire -autochtone, allochtones- pour la reconnaissance d’une dignité ancienne, pour réparer une humiliation imaginaire et perçue (banatuzarau=ils nous méprisent), transmise de génération en génération.
Les offensives de Mahina Mukogabwe : prédation, désintégration sociale et résistance
Dans sa volonté démesurée d’accaparer richesses, pouvoir et femmes, Mahina Mukogabwe lança une série d’attaques d’une brutalité sans précédent, laissant une empreinte durable dans la mémoire collective des Banyamulenge. Ces épisodes, transmis de génération en génération par la tradition orale, constituent aujourd’hui un témoignage majeur des tensions internes et des luttes de pouvoir qui marquèrent la société de l’époque.
À cette période, la communauté banyamulenge ne disposait pas encore d’une autorité coutumière centralisée capable d’unifier les clans et de coordonner la défense collective. Cette fragmentation structurelle favorisa les entreprises prédatrices de Mahina, qui sut exploiter à son avantage les rivalités internes et l’absence d’organisation militaire cohérente. Ainsi, les Banyamulenge furent souvent contraints à une passivité forcée, conséquence de leur isolement et de la peur qu’inspiraient les représailles du chef envahisseur.
L’histoire a surtout retenu la résistance héroïque de Nyagahavu, le premier à avoir osé défier Mahina et à reprendre un butin, affirmant ainsi la capacité des Banyamulenge à défendre leur honneur et leur autonomie. Cependant, cette résistance courageuse ne doit pas occulter les nombreuses lignées qui furent durement frappées par la violence aveugle de Mahina.
Le paroxysme de cette campagne de terreur fut atteint lorsque Mahina s’attaqua directement à Mulenge, véritable cœur symbolique et spirituel de la communauté. Là, il fit tuer Ruvusha et Mududa, patriarches respectés du clan des Bagorora, et blessa grièvement Sebasamira, du clan des Basama. Ce dernier survécut, mais ses blessures devinrent dans la mémoire collective le symbole d’une atteinte profonde à la dignité et à la continuité des anciens.
Dans une autre expédition, Mahina fit périr Bizoza, un notable renommé pour ses vastes troupeaux, lesquels furent entièrement pillés. Ces trois patriarches représentaient les piliers de la stabilité sociale et les garants de la mémoire collective : leurs troupeaux n’étaient pas seulement des biens matériels, mais les signes tangibles du prestige, de la prospérité et de l’autorité morale.
Mahina, rusé et calculateur, s’appuyait sur un réseau d’espions infiltrés jusque dans les rangs banyamulenge, qui lui transmettaient des informations précises sur les déplacements, les alliances et les richesses des familles influentes. Grâce à ces relais, il put frapper méthodiquement, clan après clan, sans qu’une riposte coordonnée ne puisse être organisée.
Dans le cas de Bizoza, les Basinzira tentèrent une intervention tardive, mais ne purent empêcher sa mort ni la perte de ses biens. Par la suite, ses descendants se rapprochèrent du clan Basinzira afin d’y trouver protection et solidarité, bien que leur ascendance première les rattachât au clan Bagorora. Cette évolution témoigne de la fluidité des alliances et des recompositions lignagères provoquées par les crises successives. D’ailleurs, les traditions orales rappellent que Bagorora, Basinzira et Bizoza descendent d’un ancêtre commun nommé Rugorora, figure fondatrice d’une lignée respectée.
Ces agressions répétées ne relevaient pas du simple banditisme ou de la quête individuelle de gloire. Elles constituaient une stratégie d’affaiblissement collectif, visant la vitalité même de la société banyamulenge. En éliminant les patriarches, Mahina s’attaquait aux piliers de la mémoire et de l’autorité morale ; en s’emparant des troupeaux, il privait la communauté de la base économique et symbolique de son autonomie ; en semant la terreur, il cherchait à désintégrer le tissu social et à réduire les clans à la dépendance.
Ainsi, en frappant au cœur de Mulenge, Mahina ne se contentait pas d’assouvir ses appétits personnels. Il poursuivait une ambition politique plus vaste : affaiblir durablement les Banyamulenge, les dépouiller de leur dignité, et les maintenir dans une position de vulnérabilité structurelle. Ces campagnes, loin d’être de simples querelles tribales, traduisent la lutte pour le contrôle des ressources, du prestige et de la légitimité au sein d’un espace social encore en formation.
Les Guerres de Mahina et Nyagahavu : Histoire d’honneur, de vengeance et de mémoire dans la tradition banyamulenge
Dans la mémoire orale des Banyamulenge, les affrontements entre Mahina et Nyagahavu occupent une place centrale. Ces récits, transmis de génération en génération, ne relèvent pas seulement du folklore ; ils constituent une mémoire historique collective, témoignant d’une époque où l’honneur, la dignité et la solidarité familiale formaient les piliers de la cohésion sociale. Les guerres dites de Mahina contre les Abatwari révèlent comment des ambitions personnelles, des rivalités de prestige et des transgressions symboliques purent bouleverser durablement l’équilibre entre tribus alliés.
L’affaire Nyirankumi : la première querelle
L’origine du conflit remonte à l’affaire Nyirankumi, un épisode fondateur de la tradition orale.Nyirankumi, épouse de Ruhirika — neveu de Nyagahavu — et femme d’une beauté exceptionnelle, appartenait à une lignée noble et respectée. Sa grâce, sa prestance et son appartenance à la famille de Nyagahavu faisaient d’elle une figure admirée sur les Hauts-Plateaux.
Mais sa renommée éveilla la convoitise de Mahina, chef redouté pour son autorité et son tempérament dominateur. Voyant en Nyirankumi un symbole de prestige et de pouvoir, il décida de s’en emparer par la force. Son expédition réussit : Nyirankumi fut capturée et conduite de force dans la résidence de Mahina.
Cet acte fut perçu comme une profanation de l’honneur familial. Dans la conception banyamulenge, l’atteinte à une femme du lignage équivalait à une attaque contre toute la communauté. Refuser d’y répondre revenait à admettre la honte et la soumission.
Nyagahavu rassembla alors ses fils, cousins et alliés pour une expédition punitive. Le combat fut acharné et fit plusieurs victimes, dont Nyagashinga, fils de Rushama, issu du clan Batwari, qui tomba au champ d’honneur. Un autre parent fut capturé puis exécuté par les hommes de Mahina. Ces pertes renforcèrent la détermination des Banyamulenge, qui reprirent Nyirankumi et infligèrent une lourde défaite à Mahina, dont le fils aîné fut tué au combat.
La victoire fut totale : Nyagahavu s’empara du bétail de Mahina, symbole de richesse et de prestige, et le partagea entre ses alliés, dont son cousin Ngenganyi, en signe de gratitude. Ces troupeaux devinrent le symbole vivant de la victoire et de la dignité restaurée.
Ce conflit, appelé « guerre de Mahina contre les Abatwari », scella la réputation de Nyagahavu comme chef courageux et juste, garant de l’honneur de son lignage. Quant à Nyirankumi, elle retrouva sa place auprès des siens et donna naissance à Ndahiganwa et Bishogori, deux figures marquantes de la généalogie banyamulenge.
L’affaire Nyirambombo : la vengeance de Mahina
Malgré sa défaite, Mahina ne renonça pas. Hanté par l’humiliation subie, il chercha à se venger. Son objectif : frapper à nouveau Nyagahavu, cette fois en s’en prenant à Nyirambombo, épouse de Rwuhira, fils aîné de Nyagahavu, et fille de Ruhorera du clan Badahurwa.
Nyirambombo, célèbre pour sa beauté et son raffinement, incarnait la continuité d’une alliance noble entre les Badahurwa et les Batwari. Son mariage avec Rwuhira consolidait l’influence politique et sociale de Nyagahavu. Pour Mahina, s’emparer d’elle revenait à anéantir définitivement le prestige de son rival.
Informé du complot, Nyagahavu préféra éviter une confrontation directe. Il rassembla sa famille et ses proches, quittant Buraga pour gagner le sud, en direction de Gihande, près de Mulenge. Pour échapper aux forces ennemies, il évita les routes principales comme celle de Lemera et emprunta des sentiers montagneux à travers Kitigarwa et Kagabwe, guidé par les Batwari. Cette fuite fut à la fois un acte de prudence et une stratégie militaire, visant à protéger les femmes et les enfants tout en préparant la riposte.
Pendant cette retraite, Mahina lança son expédition vers Muhanga. Dans un geste héroïque ,afin de retarder l’avancée ennemie Rwuhira affronta seul les troupes de Mahina. Il réussit à faucher plusieurs assaillants avant d’être tué, submergé par le nombre.
Sa mort héroïque eut un impact considérable : elle permit aux siens de se réorganiser et d’éviter le désastre. Dans la mémoire collective, le nom de Rwuhira est associé à la bravoure et au sacrifice ultime, celui d’un fils qui donne sa vie pour sauver son peuple.
La bataille de Mukonashari : la revanche des Abatwari
Peu après, Nyagahavu lança une contre-offensive rassemblant des combattants des clans Abadahurwa, Abasizana et Batwari. La bataille se déroula sur la colline de Mukonashari, non loin de la rivière Sange.
Les anciens décrivent un affrontement d’une intensité exceptionnelle : le ciel obscurci par les flèches et les lances, le sol tremblant sous les pas des guerriers. Tous les arsenaux traditionnels furent déployés — lances, arcs, frondes, épées artisanales, massues — dans une lutte totale où chaque clan défendait son honneur et sa survie.
Au cours des combats, Busore, un homme respecté du clan Badahurwa et père de Rutare et Rusangiza, fut grièvement blessé. Sa blessure galvanisa les combattants, qui jurèrent de venger leur chef. C’est alors que Rutubuka, neveu de Busore, mena une action décisive : s’infiltrant discrètement à travers les bananeraies bordant la rivière Sange, il transperça d’un coup de lance le commandant de l’expédition de Lemera.
La mort de ce chef provoqua la débandade des troupes de Mahina, qui s’enfuirent en désordre. La victoire fut totale, mettant fin à la menace et consacrant la suprématie militaire et morale de Nyagahavu.
Héritage et signification historique
Les deux guerres successives entre Mahina et Nyagahavu ne furent pas de simples querelles de clans. Elles symbolisent, dans la tradition banyamulenge, la résistance contre l’arbitraire et la défense de la dignité collective. À travers ces épisodes, la communauté affirma son refus d’être dominée par la force et proclama la primauté de la justice, de l’honneur et de la solidarité.
La mémoire de ces événements a traversé les siècles. Les troupeaux hérités de ces victoires, la descendance des héros comme Rwuhira, Rutubuka ou Nyagashinga, et les chants commémorant les batailles demeurent autant de témoins vivants de la bravoure et de la cohésion banyamulenge.
Ainsi, les guerres de Mahina et Nyagahavu constituent non seulement un chapitre de l’histoire ancienne des Hauts-Plateaux, mais aussi un socle moral et identitaire pour les générations suivantes — un rappel constant que la dignité d’un peuple se mesure à sa capacité de défendre son honneur et de protéger les siens, même au prix du sacrifice.
au prix du sacrifice.
Le sacrifice de Rwuhira
La mémoire de Rwuhira, tombé au champ d’honneur, demeure profondément ancrée dans la tradition orale des Banyamulenge. Son courage et son sacrifice sont évoqués comme ceux d’un héros dont la mort marqua un tournant décisif dans la résistance à l’oppression. Il laissa derrière lui deux enfants, Bujambi Ruziganira et sa sœur, que son frère Ngorore prit sous sa protection, conformément à la coutume du lévirat, assurant ainsi la continuité de la lignée familiale. De cette union naquirent cinq enfants — Budutira, Musuhuke, Gahujuju, Nyirabikinga et Muzirahinda — perpétuant la descendance et l’honneur du lignage de Nyagahavu.
Ce combat marque dans la tradition orale le premier affrontement direct entre les Banyamulenge et Mahina. Jusque-là, Mahina s’était contenté d’enlever des jeunes filles, un acte considéré comme du guterura, toléré dans certaines circonstances. Mais cette fois, il alla plus loin, s’attaquant à des femmes déjà mariées — une transgression perçue comme un sacrilège dans la culture locale, une insulte grave à l’honneur familial et communautaire. Ce fut le point de non-retour.
La tension monta encore d’un cran lorsque Mahina, apprenant que Ruhorera, le père de Nyirambombo, avait une autre fille d’une beauté comparable, manifesta le désir de l’épouser. Pour Ruhorera, c’en était trop. Ne voulant pas livrer sa fille à un homme qu’il tenait pour un tyran, il prit la fuite avec toute sa famille, trouvant refuge dans la chefferie voisine des Bavira.
Lorsque Mahina arriva, animé de ses habituels airs de domination, il ne trouva que silence et vide. Sa prétention fut réduite à néant. Déconcerté, humilié, il rentra bredouille.
Plus tard, la jeune fille tant convoitée fut mariée aux Banyamulenge, selon les volontés de Ruhorera. Ce mariage, loin d’être un simple acte familial, portait une signification politique et symbolique forte : un refus clair de l’autorité de Mahina. Ce n’est qu’après cette union que Ruhorera regagna paisiblement ses terres d’origine.
Mahina, désormais affaibli, ruiné, et isolé, n’avait plus ni la force ni l’influence pour s’y opposer. Ironie de l’histoire, celui qui autrefois se posait en maître tenta, dans ses vieux jours, de renouer avec ceux qu’il avait voulu asservir.
L’exil de Nyagahavu et la fin du cycle de violence
Malgré les lourdes défaites qu’il avait subies, Mahina ne désarma pas. Humilié, il jura de se venger. Face à cette menace persistante, Nyagahavu, désormais âgé et affaibli, tenta de mobiliser les siens, d’unir les banyamulenge pour une défense commune. Mais l’usure des années de conflit, les agressions répétées et les corvées harassantes imposées par l’administration coloniale belge avaient entamé le moral de la population. Les siens commencèrent à se disperser vers le sud dans ce qui est devenu chefferie de Bavira et l’Ubembe, fuyant l’insécurité chronique pour chercher des pâturages plus sûrs dans des contrées paisibles.
Ce fut une période sombre, marquée par la fuite, l’exil et la désillusion. Nyagahavu, porteur du butin saisi chez Mahina, comprit qu’il ne pouvait plus continuer à le garder ouvertement, alors même que Mahina, devenu son ennemi juré, restait influent. Déçu par l’inaction de sa communauté, trahi par le silence complice de l’administration belge – qui, de manière tacite, favorisait Mahina – Nyagahavu prit une décision lourde de conséquences : il choisit l’exil.
Avec sa famille, il trouva refuge chez le Mwami Ndabagoye, suzerain des Barundi dans la plaine de la Ruzizi. Espérant garder son troupeau loin de la vue de Mahiana. Il adressa une plainte officielle à l’administration belge basée à Uvira probablement en 1922, dénonçant les exactions et les menaces de Mahina. Mais ses doléances ne furent jamais prises en compte. Le pouvoir colonial resta sourd, laissant Nyagahavu et les siens à leur sort.
Le climat rude de la plaine, la malaria, et l’épuisement des années de lutte eurent raison de sa famille : son fils Semashari succomba en premier, suivi peu après par Nyagahavu lui-même, mort en exil, abandonné et oublié.
Mais l’histoire ne s’arrêta pas là. À la mort de Semashari, c’est son fils Rubanga qui hérita des responsabilités familiales. Conscient du poids du passé, animé par un désir profond de réconciliation, il prit une initiative symbolique et courageuse : il offrit deux vaches à Mahina, selon la tradition du "kunywana igihango", le pacte de paix. Ce geste d’apaisement fut accueilli favorablement. Il mit fin à des années de tensions, restaurant un équilibre fragile entre les familles ennemies.
Peu à peu, le calme revint dans la région.
Plus tard, sous l'administration du colon belge Loon, un tournant décisif s'opéra. Nyiriminege, fils de Nyagahavu et frère cadet de Semashari, fut nommé chef coutumier. Son autorité fut officiellement reconnue, s’étendant de Rurambo à Mitamba, selon certaines sources orales. Ce fut une première étape dans l’intégration des Banyamulenges dans l’ordre colonial.
Le mérite de Nyagahavu
Dans l’histoire des Banyamulenge, la figure de Nyagahavu occupe une place singulière, à la fois par son courage et par la portée morale de ses actions. Il est reconnu pour avoir mis un terme décisif à une pratique ancienne et dégradante : l’enlèvement de jeunes filles et de femmes banyamulenge par la force.
Selon la tradition orale, c’est à la suite de l’épisode marquant de l’attaque de Mahina que ce changement s’opéra. Nyagahavu, mû par un sentiment de justice et de protection communautaire, mena une expédition contre Mahina afin de ramener Nyirankumi, une femme injustement enlevée. L’opération se solda par des pertes importantes pour Mahina : une partie de son bétail fut confisquée et, plus tragiquement, son propre fils trouva la mort au cours de l’affrontement.
Cet événement eut un effet profondément dissuasif. Bien que Mahina tenta de reconstituer son cheptel en menant d’autres pillages, la perte de son fils lui servit de leçon irréversible. Dès lors, il abandonna l’usage de la violence pour obtenir une épouse issue de la communauté banyamulenge et adopta la voie coutumière légitime du mariage, en s’acquittant de la dot selon les traditions établies.
Par cet acte, Nyagahavu mit fin à une ère d’abus et posa les bases d’un nouveau rapport de respect entre communautés. Son intervention ne fut pas seulement un acte de bravoure, mais aussi une réforme sociale majeure, marquant la transition d’une pratique fondée sur la coercition vers une relation régie par la légalité coutumière.
Ainsi, la mémoire collective des Banyamulenge retient Nyagahavu comme une figure éminente, un symbole de justice et de transformation sociale, ayant osé entreprendre ce que nul avant lui n’avait eu le courage d’accomplir.
Qui est Nyagahavu ?
Nyagahavu : Héritier d’une lignée discrète, fondateur d’un prestige durable


Nyagahavu, figure emblématique de l’histoire des Hauts-Plateaux, était le fils de Sebashi et le petit-fils de Ntwari, un patriarche dont la vie s’est déroulée d’abord à Bisesero où il vivait avec son frere Mutambira, puis sur la coline ku Kibirezi (probablement entre Mibirizi et Gishoma) actuellement, distict de Rusizi, et enfin entre les deux rives de la Rusizi. À une époque où les frontières étaient encore fluides, Ntwari partageait sa résidence entre les plaines congolaises et les versants rwandais, menant ses troupeaux selon le rythme des saisons. Cette mobilité transfrontalière était alors un mode de vie pastoral profondément ancré dans les pratiques de transhumance.
Son fils Sebashi, encore jeune, s’installa dans la région de Kakamba, à l’instar d’autres membres de sa génération. Il s’y établit avec ses deux frères cadets, Mpire et Bavire, et ses demi-frères dans un contexte d’expansion pastorale. À cette époque, Sebashi n’avait qu’un seul enfant, Nyagahavu. Soucieux de retrouver sa mère restée au Rwanda auprès de son frère Rwamiheto, Sebashi entreprit un voyage de retour dans son pays d’origine. Ce déplacement fut toutefois tragique : il y trouva la mort assassiné, probablement dans des circonstances qui ne furent jamais totalement élucidées.
La possibilité que Sebashi ait trouvé la mort dans un conflit fratricide autour du patrimoine familial ne peut être exclue, bien qu’aucune tradition orale ne semble en fournir des détails explicites. Toutefois, plusieurs indices contextuels peuvent alimenter une hypothèse plausible, à considérer avec prudence dans une analyse historique :
Dans les sociétés pastorales comme celles des Banyamulenge, la transmission du patrimoine – en particulier le bétail et les terres de pâturage – est une source fréquente de tensions au sein des fratries, surtout lorsqu’il n’existe pas de mécanisme formel de partage
Nyagahavu grandit ainsi orphelin de père et de mère, élevé par ses oncles dans un environnement marqué par les épreuves, mais aussi par l’entraide lignagère. Malgré ces débuts difficiles, il parvint à se hisser au rang des notables les plus respectés de son époque. Son intelligence, sa bravoure et sa capacité à accumuler richesses et alliances firent de lui une figure centrale dans les traditions orales.
Aujourd’hui, la mémoire collective garde peu de traces de Sebashi. Cela s’explique probablement par sa mort prématurée et la discrétion de sa descendance, limitée à un seul fils. En revanche, Nyagahavu a marqué son époque et les générations suivantes, devenant un repère fondateur pour plusieurs lignées. Son ascension illustre parfaitement cette dynamique où le prestige se construit non par l’héritage seul, mais par les actions décisives d’un individu
Les descendants de Nyagahavu : héritages, tensions et bénédiction inattendue
Nyagahavu, figure éminente de la communauté banyamulenge, eut quatre épouses au cours de sa vie, dont les unions donnèrent naissance à une descendance nombreuse et diverse, marquant les débuts de lignées importantes dans la région des Hauts Plateaux et de la plaine de la Ruzizi.

De son mariage avec sa première épouse naquit Rwuhira, son fils aîné. La deuxième union donna naissance à Semashari, Nyiriminege et une fille nommée Nyiazuba. Avec la troisième épouse, Nyagahavu engendra Ngorore et Mitako. Enfin, dans sa vieillesse, il épousa Bukobwa, une jeune femme issue du clan Abahiga. De cette dernière union naquirent Ruregeza, Secitiro et Ndategwa Birigija, Bukima et Nyiragakwengo. Une tradition orale rapporte qu’un troisième fils serait également né de Bukobwa, mais mourut prématurément alors qu’il était déjà fiancé.
Nyagahavu termina sa vie dans la plaine de la Ruzizi, où il fut inhumé. Après sa mort, la gestion des affaires familiales revint naturellement à son petit-fils Rubanga (fils de Semashari) et à son fils Nyiriminege, tous deux plus âgés et déjà reconnus pour leur leadership. Ils prirent l’initiative de répartir l’héritage paternel, selon une logique de regroupement par lignées maternelles.
La succession fut ainsi divisée en deux grands blocs :
· Le premier, constitué des descendants des première et troisième épouses ;
· Le second, formé par les descendants de la deuxième et de la quatrième épouse, Bukobwa.

Dans ce contexte patriarcal et fortement hiérarchisé, Bukobwa, la quatrième épouse, jeune veuve sans pouvoir, dut faire face à un déséquilibre flagrant. Ses enfants, encore mineurs, et elle-même furent pratiquement écartés des décisions majeures. Ne bénéficiant d’aucun soutien immédiat et sans statut comparable à celui des fils adultes ou petits-fils influents, elle se vit attribuer une part négligeable de l’héritage : quelques vieilles vaches improductives, appelées ibuguma.
Blessée par cette injustice mais confiante, elle déclara devant les siens :
« Mwigwizeho amariza, ariko amabuguma arimo umugisha, nzabarusha. »(Prenez toutes les génisses que vous voulez, mais les vieilles vaches portent une bénédiction. Je vous surpasserai.)
Consciente qu’elle ne pourrait pas subvenir seule aux besoins de ses enfants dans un environnement devenu hostile, Bukobwa se retira avec ses fils auprès de ses frères maternels dans la région de Garyi. Ces frères — Muhinyuza, Manene, Matabaro et Muhosho — l’accueillirent et l’assistèrent dans la rééducation et l’élévation de ses enfants.
Grâce à l’appui indéfectible de ses frères, à sa résilience et à sa bénédiction revendiquée, Bukobwa devint au fil des années non seulement la plus prospère des veuves de Nyagahavu, mais aussi un symbole d’espoir et de justice différée. Son parcours, d’abord marqué par la marginalisation, se transforma en une véritable success story, au point que la mémoire collective la retint sous le surnom affectueux et respectueux de :« Bukobwa, umukobwa w’umugisha » — la fille bénie.
Ce récit illustre non seulement les dynamiques familiales complexes propres aux sociétés pastorales, mais aussi le pouvoir symbolique de la parole, de la solidarité clanique et de la foi en une justice transcendante, capable de renverser les injustices du présent.
Le principe de Habyara impfizi : l'affirmation de la maternité légitime par la dot
Parmi les fils de Bukobwa, la quatrième épouse de Nyagahavu, une histoire singulière illustre un principe culturel fondamental dans la tradition banyamulenge : habyara impfizi, littéralement « c’est la dot qui donne la légitimité à l’enfant ».
De la promesse de mariage — qui n’eut pas le temps de se concrétiser à cause du décès prématuré du troisième fils de Bukobwa — naquit un enfant, un garçon nommé Sekaganda. Dans d’autres contextes, la filiation paternelle aurait pu être sujette à contestation, mais selon la coutume en vigueur, la légitimité d’un enfant ne dépend pas uniquement du lien biologique. Elle repose sur l’acquittement de la dot (inkwano) et sur l’intégration de l’enfant dans le foyer reconnu par la famille maternelle.
Conformément à cette règle, Sekaganda fut élevé par Bukobwa, sa grand-mère maternelle, dans le cadre social et familial du clan de Nyagahavu. Le père biologique, dont l’identité ne fut ni occultée ni mise en avant, n’eut aucune autorité sur l’enfant. La communauté considérait que, du moment où la dot avait été versée ou la promesse matrimoniale entamée, l’enfant appartenait pleinement à la lignée dans laquelle il était né. La reconnaissance sociale primait donc sur la filiation biologique.
Ce principe reflète une approche communautaire de la filiation et de l’héritage, centrée sur les alliances matrimoniales et l’ancrage social plutôt que sur la seule biologie. Dans le cas de Sekaganda, habyara impfizi permit non seulement de préserver l’honneur de la famille endeuillée, mais aussi d’assurer à l’enfant un statut pleinement reconnu, sans stigmatisation ni marginalisation.
Ce récit illustre comment les normes coutumières pouvaient offrir des solutions de continuité sociale et familiale dans un monde pastoral marqué par l’instabilité, les décès précoces et la mobilité. La force de ces traditions résidait dans leur capacité à intégrer, à protéger et à légitimer, tout en affirmant les valeurs profondes de solidarité et de responsabilité collective.
Offensive contre Kayira Bigimba Muhinyuza
On ignore la date exacte de ces événements, mais selon la mémoire des anciens, ils se seraient déroulés entre 1919 et 1923. Cette estimation s’appuie notamment sur le rapport de l’administrateur de Kalembe-Lembe (actuel Fizi), qui mentionne la relégation de Kayira en 1924. À cette époque, les faits n’étaient presque jamais consignés par écrit ; le temps se comptait en saisons, en récoltes ou en migrations, plutôt qu’en années. La tradition orale demeurait alors le seul instrument de transmission du passé, fragile mais essentiel.
Si le fil des dates s’est parfois effiloché, la mémoire collective a su préserver l’essentiel : les moments de rupture, les drames fondateurs et les gestes de courage qui ont façonné la destinée d’un peuple. Certains épisodes, parce qu’ils marquèrent un tournant décisif, sont restés ancrés dans la conscience des générations, comme une flamme que rien n’a pu éteindre.
Mahina, chef redouté dont l’autorité ne cessait de s’étendre, s’était forgé une réputation aussi puissante qu’inquiétante. Connu pour ses expéditions violentes, marquées par l’enlèvement de jeunes filles et le pillage du bétail, il imposait son pouvoir par la crainte et la contrainte. Sa domination, jusqu’alors incontestée, s’exerçait sans partage sur une large portion du territoire.
Cependant, son ambition le poussa à franchir une limite qui allait marquer un tournant. C’est en s’en prenant à Kayira Bigimba Muhinyuza — patriarche influent, respecté pour sa droiture et son indépendance — que Mahina déclencha une opposition déterminée. Kayira, homme libre et jaloux de son autonomie, refusa catégoriquement de reconnaître l’autorité de Mahina. Cet acte d’insoumission fut perçu comme une provocation intolérable.
Pour rétablir son prestige, Mahina ordonna une expédition punitive. Sous la conduite de son chef de guerre, Mushuruti, ses hommes attaquèrent le domaine de Kayira, à Kurufuri (l’actuel Runingu). Le troupeau fut pillé, et Masine, l’un des fils de Kayira, trouva la mort au cours de l’assaut. Cette agression, d’une violence inédite, atteignit profondément Kayira, autant dans son honneur que dans son affection paternelle.
Loin de se soumettre, il décida de riposter. Mobilisant ses proches et ses alliés, il organisa une contre-offensive destinée à laver l’affront. Mais Mahina, prudent et stratège, avait déjà dispersé le bétail pillé dans des localités éloignées, rendant toute récupération immédiate impossible. Ce conflit, né d’un abus d’autorité et d’un refus d’asservissement, allait bientôt prendre une dimension symbolique, opposant la tyrannie à la dignité d’un homme libre.
L’intervention de Rwasamanga et la suprématie militaire
Un tournant décisif intervint avec l’entrée en scène de Rwasamanga, chef bafuliro dont l’ambition et l’influence grandissaient dans la région. Profitant du désordre laissé par la Première Guerre mondiale, il s’empara d’un important arsenal abandonné par les troupes allemandes en retraite. Cette nouvelle puissance de feu allait profondément modifier le rapport de force local.
Soutenu par ces armes modernes, Rwasamanga lança une offensive contre Cendakurya, l’un des fils de Kayira. L’attaque fut brutale et méthodiquement exécutée : plus de quatre cents têtes de bétail furent dérobées. Ce pillage massif ne relevait plus du simple affrontement tribal, mais d’une véritable opération militaire, marquant la supériorité stratégique d’un camp désormais mieux équipé.
Ainsi, la balance du pouvoir s’inversa brutalement. Les Banyamulenge, jusque-là résilients face aux exactions successives, se trouvèrent confrontés à une force dont la modernité des armes consacra un déséquilibre dramatique. Cet épisode annonçait une ère nouvelle, celle où les rivalités locales allaient se transformer, sous l’effet de l’armement colonial, en conflits à portée régionale.
La réplique de Kayira Bigimba
Refusant de plier sous la défaite, Kayira organisa la riposte. La mort de son fils Masine et l’attaque dirigée contre Cendakurya provoquèrent une réaction d’ampleur. Sous son impulsion, une contre-offensive fut menée par Segugu — cousin paternel de Nyagahavu du clan Batwari —, Makebo du clan Bahinda, et Rutereka du clan Basinzira. Ensemble, ils rassemblèrent leurs forces et frappèrent en retour les positions bafuliro.
Plusieurs villages furent incendiés, leurs huttes réduites en cendres, et de nombreux troupeaux capturés en guise de butin. Cette vengeance, âpre mais méthodiquement préparée, redonna à la communauté meurtrie un souffle de dignité et d’unité. Elle symbolisait la résistance d’un peuple refusant l’humiliation et la soumission.
Cependant, cette victoire éphémère eut un prix lourd. Elle ouvrit la voie à un cycle de représailles dont nul ne pouvait prévoir l’issue. Dans cette spirale de violences et de vengeances croisées, la région s’enfonça peu à peu dans une instabilité chronique, où l’honneur et la survie se confondaient désormais dans le fracas des armes.
La manœuvre coloniale et l’affaiblissement de Kayira
Face à l’escalade du conflit, Mahina choisit d’abandonner les armes pour une stratégie plus pernicieuse : l’alliance avec l’administration coloniale. Par une plainte savamment rédigée et transmise aux autorités belges, il accusa Kayira de troubles à l’ordre public et de destructions de maisons. En 1924, sous couvert d’un « arbitrage territorial », les administrateurs décidèrent de la relégation de Kayira. Cette mesure, présentée comme une décision de justice, dissimulait en réalité une manœuvre politique visant à neutraliser un chef respecté et à consolider l’autorité de Mahina et de ses alliés.
Derrière cette apparente impartialité se cachait une logique typiquement coloniale : affaiblir les structures sociales autonomes et récompenser les chefs jugés dociles ou utiles à l’administration. La relégation de Kayira symbolisa ainsi la victoire du pouvoir colonial sur les dynamiques locales, mais aussi la fracture profonde qu’il introduisit au sein des communautés des Hauts-Plateaux.
Le palabre entre Mahian et Kayira
Lors de la comparution, l’administrateur belge interrogea Kayira:– Pourquoi avez-vous attaqué Mahina?Kayira répondit calmement:– C’est Mahina qui a commencé. Nous n’avons fait que nous défendre. C’était une contre-attaque.Mahina, à son tour, dut expliquer la raison de sa plainte alors qu’il était lui-même l’auteur des agressions. Il répondit simplement:– Parce que Kayira refuse de m’obéir.Kayira rétorqua, d’une voix ferme mais respectueuse:– Je ne suis pas son sujet. Je suis chef, au même titre que lui.
L’administration, qui ne voyait pas d’un bon œil l’esprit d’indépendance des Banyamulenge qu’elle jugeait réfractaires à l’autorité coloniale, décida de trancher à sa manière. Elle leur posa la question décisive:– Qui, de vous deux, s’est installé le premier dans cette région?Les deux confirmèrent que Mahina était arrivé avant. Mais Kayira précisa:– Je suis en dehors de ses terres. Il n’a jamais exercé d’autorité sur nous.
L’administration belge, malgré la notoriété et le respect dont jouissait Kayira, rendit un verdict arbitraire : elle décida de l’exiler avec les siens sur le plateau de Shanji, dans un endroit appelé Kwa Nyiranzogeye, en direction de Lulenge. Kayira protesta, mais la menace d’une intervention militaire l’obligea à céder. Les Belges lui promirent qu’il s’agissait d’une nouvelle chefferie où il serait souverain, sans rivalité ni conflit.
Conscient qu’un chef sans peuple n’a aucune signification, Kayira demanda un délai pour convaincre ses administrés de le suivre. L’administration accepta. Ce fut une entreprise difficile : persuader des familles entières de quitter leurs terres natales, leurs pâturages ancestraux, pour un exil dans des terres inconnues, relevait du miracle. Mais grâce aux liens de parenté, aux alliances entre gendres et beaux-frères, aux amitiés scellées par l’échange de vaches (kugabirana), plusieurs décidèrent de le suivre.
Le jour de l’exode, l’administration mit à leur disposition une escorte militaire pour les accompagner, eux et leurs troupeaux. Ce fut un long voyage, un véritable déplacement de peuple qui dura des semaines de marche à travers les collines et forêts. Ils dépassèrent les terres nouvellement attribuées à Mahina – le Bupfurero, chefferie des Bafulero – traversèrent Kambelembele, puis continuèrent au-delà de Minembwe. Bien que toute cette zone fût traditionnellement pastorale pour les Banyamulenge, l’administration leur interdit de s’y installer, les contraignant à poursuivre jusqu’à Kwa Nyiranzogeye.
Arrivés à destination, ils furent abandonnés à eux-mêmes. Là, une maladie connue sous le nom d’Isimo – probablement la tuberculose bovine, la malaria, ou peut-être la maladie du sommeil causée par la mouche tsé-tsé – décima leur cheptel. Sans laboratoire ni vétérinaire, on ne pouvait identifier la maladie ; seuls les symptômes étaient décrits, semblables dans toutes ces affections. Puis ce fut au tour des hommes de tomber malades, et la mort emporta plusieurs d’entre eux. Ce fut la débandade et un mouvement de retour progressif vers leurs anciennes terres pastorales, loin de l’influence de Mahina. Cet exil forcé dura environ trois ans. Certains affirmaient que la mouche tsé-tsé avait été volontairement infestée par l’administration belge pour ruiner les Banyamulenge et briser leur résistance. Ainsi s’effondra le pouvoir de Kayira, pourtant réputé plus juste et respecté que celui de Mahina.
Signification historique
La guerre menée par Mahina contre Kayira dépasse de loin la simple querelle intertribale. Elle s’inscrivait dans un cadre plus vaste : celui d’une campagne de marginalisation systématique des Banyamulenge, encouragée — voire instrumentalisée — par les autorités coloniales. En s’attaquant aux fils, aux troupeaux et au prestige de Kayira, Mahina visait non seulement un homme, mais tout un symbole d’unité et de résistance.
Ces événements illustrent une constante de l’histoire des Hauts-Plateaux : la communauté banyamulenge, isolée par les structures coloniales et confrontée à l’hostilité de ses voisins, a souvent dû défendre son existence même dans un contexte d’adversité permanente. La relégation de Kayira n’était pas un épisode isolé, mais une étape d’un processus de domination visant à briser les forces sociales indépendantes.
Aujourd’hui encore, la mémoire de ces attaques demeure vivante. Elle témoigne des ravages durables causés par les manipulations coloniales, qui ont transformé des rivalités locales en fractures ethniques profondes. Ces germes de division, semés au nom de la gouvernance et de la pacification, continuent d’alimenter les tensions contemporaines du Sud-Kivu, rappelant que l’histoire n’efface jamais complètement les injustices lorsqu’elle n’est pas reconnue.
La cruauté de Mahina
Mahina se distinguait par une cruauté si extrême que d’aucuns le qualifieraient aujourd’hui de psychopathe. Son règne n’était que terreur. Il inspirait la peur la plus absolue, imposant son autorité par la violence gratuite et l’humiliation publique.
Lorsque Mahina apercevait un attroupement au marché ou un rassemblement quelconque, il lui arrivait de lancer sa lance au milieu de la foule en déclarant d’une voix glaciale : « À toi de choisir qui tu veux. » Ainsi, la victime frappée n’avait aucun droit de plainte ni même de lamentation, tant la sentence semblait décrétée par un dieu cruel.
Sa perversité allait jusqu’à organiser des épreuves de sexualité pour humilier et condamner. Il plaçait un homme nu face à une femme nue ; si le moindre signe d’excitation apparaissait, l’homme était aussitôt décapité. Ce supplice inhumain, Mahina l’imposait particulièrement aux habitants de Vira qu’il avait conquis, mais aussi aux Bafulero et aux Banyamulenge, tous contraints de vivre sous sa tyrannie.
La noyade évitée et l’occasion manquée de Mahina
On raconte qu’un jour, le fils de Mahina, Muzima, jouait avec les fils de Nyagahavu : Mitako, Rurengeza Sechitiro, Ndategwa Birigija et Rwizigura fils de Semashari et petit-fils de Nyagahavu. Les enfants s’affrontaient dans une compétition de natation, se défiant de traverser plusieurs fois la rivière sans faiblir. Ndategwa, probablement le plus jeune, heurta accidentellement Muzima, qui, épuisé, perdit connaissance et commença à se noyer. Ses camarades plongèrent aussitôt pour le secourir et, grâce aux premiers soins, il reprit son souffle.
Informé de l’incident, Mahina s’exclama furieux : « Comment Rubanga, ce jeune garçon, a-t-il été plus intelligent que moi ? J’ai accepté de sceller un pacte de paix, et voilà que je perds l’occasion de les exterminer ! » Bien que Muzima eût expliqué à son père qu’il s’agissait d’un simple accident, Mahina regretta amèrement de n’avoir pas saisi cette opportunité pour commettre un nouveau massacre.
Sous le signe d’Inkeshabuca : l’exil comme salut
Les récits illustrant le sadisme de Mahina abondent dans la mémoire collective, transmis de génération en génération comme autant de mises en garde. L’un d’eux raconte l’histoire de deux hommes, Ruhaga Ruhirimbura et Rutambwe, issus du clan Abasita, qui prirent conscience du danger grandissant que représentait le tyran. Animés par le désir de protéger les leurs, ils élaborèrent une stratégie fondée sur l’alliance.
Ruhirimbura décida de solliciter la main de la fille de Mahina pour son fils Birato, espérant ainsi nouer un lien familial susceptible d’apaiser les tensions croissantes. Rutambwe, de son côté, offrit une génisse en signe de respect et d’allégeance, dans l’espoir de sceller un pacte protecteur.
Derrière ces gestes empreints de courtoisie, se cachait une intention plus profonde : sonder les véritables desseins de Mahina à leur égard. Car tous deux pressentaient l’ombre d’un danger imminent, et cette démarche, à la fois diplomatique et prudente, devait leur permettre de déchiffrer les intentions du tyran avant qu’il ne soit trop tard.
Lorsque Mahina posa les yeux sur la bête, il demanda quel nom elle portait. Rutambwe répondit spontanément, sans méfiance, en donnant son propre nom. Le tyran esquissa alors un sourire froid et rebaptisa l’animal sur-le-champ : Inkeshabuca, autrement dit, « celle qui t’accorde une nuit de sursis ».
Le mot tomba comme un couperet et résonna comme une sentence. Les deux hommes comprirent immédiatement : le message était sans équivoque, leur sort était scellé : ils étaient déjà condamnés. Sans attendre l’aube, ils rassemblèrent leurs familles et prirent la fuite dans l’obscurité, abandonnant leurs terres natales. Après une longue errance, ils trouvèrent refuge à Bibogobogo, bien au-delà de la portée meurtrière de Mahina. C’est là que Rutambwe devint le chef de cette nouvelle localité, fondée dans l’exil et la dignité retrouvée
Ainsi, Mahina régna sans pitié, laissant dans son sillage des générations marquées par la peur, l’humiliation et l’exil. Dans un contexte politique tendu, parsemé d’embûches et de rivalités, chaque geste, chaque parole, chaque manigance revêtait une signification profonde. Ils pouvaient être l’annonce d’une heureuse nouvelle tout autant qu’un sinistre avertissement. Il fallait une vigilance constante, une analyse minutieuse des moindres indices pour ne point être pris de court. Dans ce monde où se mêlaient croyances, naïveté, innocence et cruauté, il n’était pas rare que l’on consulte les sages et les devins (indagu) afin de déchiffrer l’invisible et d’anticiper l’avenir.
L’ingéniosité de Ngenganyi face à Mahina
L’épisode de l’« ituro »
La mémoire orale rapporte un épisode révélateur de la perfidie de Mahina et de la finesse d’esprit de ses adversaires. Un jour, Mahina exigea de Ngenganyi, cousin paternel de Nyagahavu, qu’il lui apporte en guise d’impôt (ituro) les légumes appelés igitiga (feuilles de taro), très prisés dans la région. Mais chacun savait qu’entre Lemera, résidence de Mahina, et les collines où vivait Ngenganyi — à une trentaine de kilomètres — les champs de taro abondaient. La demande n’était donc pas innocente : c’était un piège, un prétexte pour accuser Ngenganyi de rébellion ou de négligence, et ainsi justifier son élimination.
Ngenganyi, conscient du danger, usa de sagacité. Plutôt que d’envoyer des feuilles de taro comme exigé, il choisit un taurillon gras et bien nourri, qu’il remit à son fils Tabazi pour l’apporter à Mahina, tout en s’excusant d’être souffrant et incapable de se déplacer lui-même.
À la vue de l’animal, Mahina fut stupéfait : la bête, d’une corpulence éclatante, ressemblait à la perfection des feuilles de taro qu’il avait réclamées. Pris de court par cette réponse ingénieuse, Mahina s’écria :
« Ngenganyi, ton intelligence t’a sauvé la vie ! J’avais déjà aiguisé l’épée pour te transpercer si tu m’avais apporté les simples feuilles de taro. Mais tu as échappé bel ! »
Ce récit illustre à la fois la cruauté calculée de Mahina, qui cherchait à tendre des pièges meurtriers à ceux qui refusaient sa domination, et l’esprit rusé des résistants banyamulenge, qui, à défaut de force militaire équivalente, opposaient à la menace une intelligence vive et une dignité inébranlable.
La protection de sa fille Gisindo
La mémoire orale raconte également un autre épisode révélateur de la ruse de Ngenganyi. Mahina avait appris que Ngenganyi possédait une très belle fille et envisageait immédiatement de la demander en mariage. Le refus aurait pu déclencher l’usage de la force et provoquer de nouvelles effusions de sang.
Prévenant le dessein de Mahina, Ngenganyi usa de stratagème : il conduisit sa fille chez un féticheur-guérisseur (umucunyi) installé à proximité de la résidence de Mahina, prétextant qu’elle souffrait d’épilepsie.
Informé de l’état de santé de la jeune fille, Mahina renonça à sa demande. Grâce à cette astuce, Ngenganyi préserva la vie et la liberté de sa fille, qui fut finalement mariée plus tard, selon les usages banyamulenge, sans aucune contrainte ni violence.
Cet épisode illustre, à nouveau, la capacité des Banyamulenge à déjouer la cruauté et l’arrogance de Mahina par l’intelligence et la stratégie, lorsque la force brute n’était pas à leur portée.
Ngenganyi, le Colosse des Hauts-Plateaux
L’incident du champ et le jugement de Mahina
Un jour, alors qu’il faisait paître son troupeau, Ngenganyi se laissa distraire et ses vaches s’introduisirent par mégarde dans le champ d’un voisin. Furieux, le propriétaire saisit un bâton et se mit à frapper violemment les bêtes.
Ngenganyi accourut et tenta de calmer l’homme :
« Ne frappe pas mes vaches, elles ne sont pas coupables. Si elles t’ont causé du tort, je te paierai. »
Mais le voisin, aveuglé par la colère, continua à battre les animaux. Ngenganyi le supplia à deux reprises de cesser, proposant toujours réparation pacifique. L’homme refusa et, pire encore, le menaça. C’est alors que, perdant patience, Ngenganyi lui asséna une seule gifle — un coup si puissant que l’homme s’effondra, évanoui sur le sol.
Lorsqu’il reprit connaissance, l’homme alla se plaindre auprès de Mahina, le chef local, affirmant que Ngenganyi avait voulu le tuer. Le chef convoqua ce dernier pour s’expliquer devant la cour.
Le plaignant parla le premier :
« Il m’a frappé sans raison ! »
Ngenganyi répondit avec calme :
« Je lui ai demandé, à maintes reprises, de ne pas battre mes vaches. Je lui ai promis de réparer le dommage, mais il n’a rien voulu entendre. Alors, je l’ai giflé — une seule fois. »
Mahina, incrédule, s’exclama :
« Une seule gifle ? Ce n’est pas possible ! »
Pour trancher, il exigea que la scène soit rejouée devant témoins. Ngenganyi s’exécuta, sous le regard du chef et de l’assemblée. À peine sa main eut-elle touché la joue du plaignant que celui-ci s’effondra de nouveau, inanimé.
Le silence s’imposa. Quand l’homme revint à lui, il dit simplement :
« Koko byaba » — « C’est ainsi que cela s’est passé. »
Mahina, convaincu, répondit :
« Maintenant, j’y crois. »
Et il conclut :
« Celui qui préfère l’affrontement à la conciliation récolte la douleur. Tu aurais dû accepter la réparation et non défier un homme de la force d’un taureau. »
Ainsi se termina l’affaire, gravée dans la mémoire des Banyamulenge comme une leçon de sagesse autant que de respect.
Gisindo, la Fille aux Bras de Fer
De son père, Gisindo hérita non seulement la force physique, mais aussi la noblesse d’âme et la droiture morale. Elle est décrite dans la tradition orale comme la femme la plus forte de son temps, une figure rare dans une société où la force appartenait d’ordinaire au domaine des hommes.
On raconte qu’elle maîtrisait les vaches les plus indomptables, qu’elle pouvait immobiliser un taureau furieux d’un seul geste sûr, et que sa seule voix suffisait à calmer un troupeau en panique. Sa réputation dépassait les frontières des collines. Les jeunes bergers craignaient et admiraient cette femme dont la main savait aussi bien protéger qu’imposer.
Mais Gisindo ne fut pas qu’une force de la nature. Elle participa activement à la vie communautaire : on la consultait lors de différends pastoraux, et sa parole, empreinte de sagesse, pesait autant que celle d’un ancien. Par son autorité naturelle et son sens de la justice, elle s’imposa comme un modèle féminin d’équilibre et de respect.
Une symbolique durable
Dans la mémoire des Banyamulenge, Gisindo incarne la puissance féminine ancestrale, celle qui s’exprime dans la responsabilité, le courage et la dignité.Son nom est devenu un symbole : celui d’une femme forte qui ne cède ni à la peur ni à l’injustice, et qui fait honneur à la lignée dont elle est issue. Beaucoup de filles portent maintenant ce nom
La dispersion et la renaissance : la leçon de Sebasaza
La dispersion des Banyamulenge marqua la fin d’un cycle de conflits et l’ouverture d’une ère d’incertitude. Parmi ceux qui prirent la route, Sebasaza — gardien du cheptel de Mahina — décida un jour de fuir, entraînant avec lui non seulement son propre troupeau, mais aussi celui de son maître. Son geste, à la fois audacieux et désespéré, traduisait une rupture : celle d’un serviteur qui refusait désormais l’oppression.
Sebasaza rejoignit d’abord son frère Sekunzi, établi à Munanira. Mais ce dernier, prudent, craignant de subir la vengeance de Mahina, lui conseilla de poursuivre plus loin son chemin. Alors, Sebasaza continua vers le sud-ouest, franchissant collines et vallées, avant de s’installer à Kirumba. La région, bien que propice à l’élevage, manquait de terres cultivables. Il poursuivit donc son périple, explorant Gatongo, puis traversant la grande forêt de Muhanga jusqu’à atteindre Bibogobogo, aux abords du territoire des Babembe de Baraka.Là, il fonda un foyer et donna son nom à la colline où il s’installa : Mu Itongo rya Sebasaza, ou Mu murya Sebasaza — “là où s’établit Sebasaza”. Son troupeau demeura à Gatongo, témoin silencieux de ce long exil intérieur.
Pendant ce temps, Mahina, affaibli et ruiné, n’osa plus s’aventurer dans les zones pastorales des Banyamulenge. La puissance dont il s’enorgueillissait autrefois s’était effondrée, minée à la fois par les revers politiques et par l’ingérence coloniale. Conscient de son isolement, il chercha à renouer avec le peuple qu’il avait jadis terrorisé.On le voyait désormais quitter Lemera pour se rendre à Muhanga, où il venait écouter la cithare (inanga) et participer aux veillées culturelles banyamulenge. Là, les chants, les récits et les danses nocturnes servaient de baume aux blessures du passé. Pourtant, malgré cette façade de réconciliation, Mahina n’avait pas totalement renoncé à ses anciens penchants : il persistait dans son obsession pour les jeunes femmes, allant jusqu’à “proposer” brutalement la dot, sans respecter les coutumes de demande et de négociation.
Face à cette obstination, les Banyamulenge décidèrent de protéger les leurs. Les jeunes filles convoitées furent cachées dans d’autres villages, à l’abri de ses velléités. Peu à peu, Mahina se retrouva isolé, dépossédé de toute autorité réelle, prisonnier d’un monde qu’il ne comprenait plus.
Ainsi s’acheva cette guerre silencieuse, faite non de batailles ouvertes, mais de résistances morales et de luttes pour la dignité. Elle laissa derrière elle des ruines, des rancunes et des souvenirs amers — mais aussi une leçon durable. Car de cette période de dispersion naquit une conscience collective : celle d’un peuple qui, même blessé, refusa la soumission et choisit la voie de la résilience.
Le crépuscule de Mahina : du parricide symbolique à la déchéance
Après avoir remporté le procès contre Kayira et vu Nyagahavu contraint à l’exil, Mahina se considérait comme un maître incontesté, exerçant son autorité sans partage. Fort de l’impunité que lui garantissait sa proximité avec certains administrateurs coloniaux, Mukogabwe II, dit Mahina, se livra à une série d’actes violents et irrationnels qui scellèrent son divorce définitif avec ses épouses banyamulenge et précipitèrent sa chute.
Entre 1926 et 1927, un drame marqua ce tournant. Parmi les plus graves figura l’assassinat de du frère de Ntakandi, un acte qui donna lieu à une plainte formelle auprès de l’administration coloniale, s’ajoutant à celle, restée sans suite, de Nyagahavu. Ces appels à la justice se heurtaient à l’inertie des autorités, probablement influencées par le rôle d’intermédiaire indigène que Mahina jouait dans le dispositif colonial.
Nkikanyi Mabembe, frère de Ntakandi et neveu de Nyampinje, vivait alors chez sa tante Rutoki, épouse de Muzima I. Rutoki n’était autre que la sœur cadette de Nyampinje, épouse officielle de Mahina et fille de Birukundi, lui-même fils de Buhiga. Un jour, alors que Nkikanyi trayait paisiblement une vache chez sa tante, Mahina, dans un geste incompréhensible et brutal, lança sa lance sur le jeune homme et le tua sur le champ.
Ce meurtre plongea ses épouses banyamulenge dans la stupeur et l’effroi. Choquées par la cruauté de cet acte, elles décidèrent unanimement de quitter le palais. Leur départ symbolisa le divorce de Mahina avec ses alliances matrimoniales et, plus largement, avec les fondements mêmes de son pouvoir, bâtis sur les mariages intercommunautaires.
Ntakandi, frère de la victime, accompagna sa tante dans une démarche inédite : porter plainte devant l’administration coloniale. Ayant travaillé comme interprète auprès des Blancs, il maîtrisait suffisamment la langue et les usages pour donner une voix légale à ce crime. Pour la première fois, l’autorité coloniale sembla prête à examiner sérieusement une accusation dirigée contre le chef.
C’est dans ce climat d’impunité que surgit un tournant décisif. Les premiers missionnaires protestants venaient à peine de s’installer à Lemera, apportant non seulement un message religieux, mais aussi une nouvelle sensibilité face aux abus de pouvoir. Parmi eux figurait une jeune missionnaire suédoise, surnommée par les habitants Nyirakayange. Son vrai nom reste incertain — Ruth Aspenlind ou Ruth Aronsson — mais son sobriquet est resté dans les mémoires.
Séduit par cette figure étrangère, Mahina décida de la faire sienne comme épouse. Le refus catégorique de la missionnaire, consciente de son statut et protégée par les principes européens, ne fit qu’exacerber l’obsession de Mahina. Dans un geste de témérité insensée, il alla jusqu’à la menacer de recourir à la force pour l’enlever. Cet excès fut le dernier franchissement du Rubicon.
Nyirakayange porta l’affaire à l’administration coloniale. Sous la pression grandissante de l’Église protestante et dans un contexte où l’autorité coloniale ne pouvait tolérer une humiliation publique de ses ressortissants, le dossier de Mahina fut rouvert. L’enquête fit ressurgir toutes les plaintes antérieures, jadis étouffées ou classées sans suite. Confrontée à une accumulation d’exactions devenues politiquement coûteuses, l’administration décida de reléguer Mahina à Rwindi, loin de ses terres d’influence.
Ainsi s’acheva la trajectoire de celui qui, malgré ses origines banyamulenge, avait préféré la brutalité et la discorde, entraînant dans sa chute l’éclatement d’un fragile équilibre intercommunautaire. Ironie du sort : ce n’est ni la révolte des chefs locaux ni l’indignation des populations, mais bien son excès de confiance et son obsession pour une missionnaire blanche qui mirent fin à son règne. Aveuglé par l’arrogance du pouvoir absolu, Mahina ne perçut pas que ce geste dépasserait le seuil de tolérance de l’administration coloniale, pourtant jusqu’alors complice.
La chute de Mahina et sa substitution par son fils Muzima Kalingishi — époux de Rutoki —, du 18 août 1928 au 20 novembre 1929, puis par Mohogo (20 novembre 1919 – 8 novembre 1932), et enfin par Matakambo, dont la mère appartenait au clan munyamulenge des Abaphurika, mit un terme à une ère mouvementée.Cette succession rapide de dirigeants traduisait la fin d’un cycle : celui de la domination autoritaire et du prestige personnel. En s’effaçant, cette génération laissait place à une sagesse nouvelle, celle d’une famille qui, après tant de blessures, décida de rompre la chaîne de la rancune pour embrasser la voie de la paix.
Mahina comme archétype du persécuteur
Dans la mémoire collective banyamulenge, Mahina n’est pas seulement un chef violent du passé ; il est devenu l’incarnation du persécuteur, le symbole de ceux qui cherchent à déraciner et à anéantir leur communauté.
1. Le despote cupide et violent : Mahina a attaqué non pas pour se défendre, mais pour s’accaparer des troupeaux, des richesses et des femmes. Il incarne l’archétype de celui qui instrumentalise la haine pour satisfaire ses ambitions personnelles.
2. Le destructeur des patriarches : En visant les anciens et les leaders, Mahina a tenté de briser la colonne vertébrale de la société banyamulenge. Cette stratégie est devenue un modèle répété par ses successeurs spirituels : aujourd’hui encore, les attaques s’accompagnent d’assassinats ciblés contre les leaders, chefs coutumiers, intellectuels et pasteurs banyamulenge.
3. Le symbole du cycle des persécutions : Dans l’imaginaire banyamulenge, Mahina est perçu comme le premier jalon d’une chaîne de bourreaux : après lui sont venus d’autres figures locales ou régionales, et aujourd’hui ce sont des coalitions armées. Tous s’inscrivent dans une lignée du mal où Mahina occupe la place fondatrice.
4. Une figure qui structure la mémoire : Lorsque les Banyamulenge décrivent les violences actuelles, ils utilisent souvent Mahina comme référence : « Ce que fait telle coalition aujourd’hui, c’est du Mahina moderne ». Le nom est devenu une métaphore du danger existentiel, un rappel permanent que la vigilance et la résistance sont vitales.
Analyse psychologique de Mahina Mukogabwe II
1. La soif de domination et le narcissisme exacerbé : Mahina se présente comme un chef mû par une volonté démesurée de domination. Son obsession d’accaparer richesses et femmes traduit un narcissisme autoritaire : il se perçoit comme le centre de pouvoir, ayant droit de vie et de mort sur les autres. L’accumulation des biens et des femmes ne répond pas seulement à des besoins matériels, mais à une logique de prestige et de toute-puissance.
2. L’usage de la peur comme outil de contrôle : Sa psychologie est marquée par une stratégie consciente de la terreur. En tuant des patriarches et en pillant des troupeaux, Mahina cherche à créer un climat de peur paralysante. La peur devient pour lui une arme plus efficace que la guerre frontale, car elle brise la volonté collective d’organiser une résistance. On pourrait parler ici d’un profil de chef prédateur, dont l’intelligence tactique réside dans l’exploitation de la vulnérabilité psychologique des autres.
3. La paranoïa et la méfiance permanente : L’existence d’espions dans les rangs mêmes des Banyamulenge montre une personnalité dominée par la paranoïa. Mahina ne se contente pas d’attaquer ouvertement, il infiltre, surveille, manipule. Cette méfiance généralisée traduit une psychologie où la confiance est absente : tout individu est potentiellement un ennemi ou un instrument à contrôler.
4. L’absence d’empathie et la cruauté instrumentale : Mahina ne manifeste aucune considération pour la souffrance humaine. Les exécutions de patriarches, le pillage de troupeaux et la destruction des équilibres sociaux ne sont pour lui que des moyens. Il illustre ce que la psychologie moderne qualifierait de traits psychopathiques : absence de remords, instrumentalisation de l’autre, indifférence à la douleur infligée.
5. Une intelligence pragmatique et manipulatrice : Malgré sa brutalité, Mahina n’est pas un simple homme de force. Sa psychologie révèle une intelligence froide et calculatrice. Par exemple, en piégeant Ngenganyi avec la demande de taro, ou en ciblant des patriarches réputés riches, il démontre une capacité à utiliser la ruse pour atteindre ses objectifs. Cette dimension fait de lui non pas un chef aveugle, mais un stratège manipulateur.
6. Le besoin d’immortalité symbolique : Enfin, Mahina agit aussi comme s’il voulait graver son nom dans la mémoire collective, fût-ce par la peur. Sa violence répétée a pour effet de marquer les générations, d’inscrire son autorité dans l’histoire, non par admiration, mais par terreur. Psychologiquement, cela reflète un désir d’immortalité symbolique, caractéristique des personnalités autoritaires qui veulent laisser une trace, quitte à ce que ce soit une trace de sang.
En résumé : Mahina incarne une personnalité narcissique, paranoïaque et psychopathe, alliant la ruse à la cruauté. Sa stratégie psychologique visait moins la conquête immédiate que la destruction de la confiance sociale au sein des Banyamulenge, pour les maintenir dans la peur
L’affaiblissement des structures d’autodéfense et la domination de Mahina : une occasion manquée
À cette période charnière, les Banyamulenge étaient encore peu structurés sur le plan militaire et politique, ce qui limita considérablement leur capacité à organiser une résistance coordonnée face à Mahina, un pouvoir local de plus en plus autoritaire et désormais soutenu par l’administration coloniale belge. l’absence d’un leadership unificateur et la déportation entravèrent toute tentative sérieuse de mobilisation.
Des discussions persistantes animent encore les cercles de sages autour de l’antériorité ou de la postériorité des résistances respectives de Nyagahavu et Kayira, deux figures emblématiques de la dignité Banyamulenge face aux abus de pouvoir. Certaines traditions orales situent le conflit entre Nyagahavu et Mahina dans un contexte postérieur à la relégation de Kayira, à une époque où le tissu social des Banyamulenge était déjà en pleine désagrégation.
Ce serait, selon cette version, un moment où les solidarités interclaniques s’étaient effritées, où les institutions coutumières peinaient à jouer leur rôle, et où de nombreuses familles avaient commencé à fuir vers le sud, à la recherche de terres plus paisibles pour la survie du bétail et des siens.
Cependant, la grande majorité des traditions s’accorde à dire que la résistance de Nyagahavu fut antérieure. Selon cette version largement admise, Mahina aurait profité du vide laissé par l’exil de figures comme Nyagahavu, pour élargir son influence et s’en prendre à Kayira plus e éloigné de son rayon d’action immédiat. Dans cette lecture, la résistance de Nyagahavu apparaît comme le premier acte structuré d’opposition à Mahina.
Toutefois, un constat demeure : si les Banyamulenge avaient été en mesure de s’organiser et de surmonter les divisions, et si leur volonté de résistance n’avait pas été désamorcée par les manœuvres dilatoires de l’administration belge, ils auraient pu mettre un terme à la domination de Mahina. Il ne manquait en réalité qu’un leadership fort, capable de fédérer non seulement les différentes familles banyamulenge, mais aussi de nouer une alliance stratégique avec les Bavira, eux-mêmes las de l’arrogance et des abus répétés de Mahina.
La guerre contre Nyagahavu et, apres lui, Kayira, permit à Mahina de mesurer l’intensité croissante de la résistance. Il comprit que ses méthodes d’intimidation et ses expéditions punitives suscitaient désormais une opposition farouche, même si encore éparse. C’est dans cette atmosphère de défiance croissante qu’il chercha à se repositionner non plus comme chef guerrier, mais comme interlocuteur légitime auprès de l’administration coloniale.
Ce tournant est illustré par un épisode significatif : lorsque Sebasaza quitta la région avec son troupeau, Mahina, autrefois prompt à poursuivre quiconque contestait son autorité, n’osa pas s’aventurer à sa poursuite. Ce geste témoigne d’un recul stratégique, dicté moins par la clémence que par la crainte d’un affrontement qu’il n’était plus certain de remporter.
Ainsi, l’histoire de cette période révèle non seulement l’oppression subie, mais aussi une opportunité historique manquée : celle d’unir des forces locales contre une tyrannie consolidée par le pouvoir colonial. La mémoire collective conserve encore aujourd’hui cette frustration d’avoir été trahis par l’administration, affaiblis par la dispersion, et privés de la chance de construire une riposte concertée.
le 19 octobre 2025
Paul Kabudogo Rugaba
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6. Banoge Buhiga David
7. Bikorimana Munyangurube Prosper
















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